Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont dit « au revoir » à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Et pas un simple « à bientôt » poli, non, un vrai départ façon claquement de porte, avec la démarche souverainiste, le regard fier, et les documents de résiliation soigneusement pliés. La France, elle, regarde ses anciens élèves s’en aller, visiblement vexée que sa langue chérie ait perdu quelques preneurs. Mais faut-il craindre, entre deux conjugaisons irrégulières, la mort de la langue française ?
Une chronique de Oussouf Diagola, chroniqueur de l’excellent journal « la Feuille », qui a autorisé Mondafrique à reproduire son éditorial
Actuellement, sur les 7 164 langues vivantes recensées sur la planète par la base de données Ethnologue, 3 170 (soit 44 %) sont classées comme étant en danger d’extinction. Au total, près de 90 millions de personnes dans le monde parlent des langues en voie de disparition, et 60 % de ces langues menacées se trouvent dans neuf pays seulement.
La langue française est-elle en train de rendre l’âme? Calmons-nous. Molière ne se retourne pas (encore) dans sa tombe. Mais il aurait sans doute quelques alexandrins salés à adresser aux départs en cascade.
La Francophonie serait-elle le dernier salon où l’on cause… français ? L’OIF, avec ses belles formules sur la diversité linguistique et les droits de l’homme, est souvent apparue comme une pièce montée diplomatique où la France parle (beaucoup), écoute (moins) et finance (encore). Pendant ce temps, les pays membres, eux, alternaient entre compliments et critiques, entre colloques sur la « gouvernance partagée » et soupirs sur la centralisation parisienne.
Mais voilà qu’un trio sahélien décide de partir en criant : “La souveraineté, c’est aussi linguistique !”. Et pendant que l’Hexagone s’inquiète pour la diversité culturelle, les concernés rappellent qu’ils n’ont jamais été invités à écrire les règles du jeu, juste à les réciter sans faute.
Certes, sur les 7 164 langues recensées dans le monde, 3 170 sont en danger. Et non, le français ne fait pas (encore) partie de la liste rouge. Il est toujours enseigné, parlé, parfois maltraité (cf. les textos), mais vivant.
La vraie question n’est donc pas « le français va-t-il mourir ? », mais plutôt : va-t-il continuer à trôner comme une vieille comtesse dans un salon où plus personne n’a envie d’écouter ses histoires ?
Parce que, soyons honnêtes, à force de faire la leçon aux autres sur la diversité linguistique en refusant d’écouter celle des autres, la France a fini par donner l’image d’une tante un peu trop attachée à ses codes, ses dictionnaires et ses accords du participe passé. Et pendant ce temps, les langues locales – bambara, mooré, zarma et compagnie – se battent pour exister dans des systèmes éducatifs qui les ignorent encore trop souvent.
Le vrai enjeu n’est pas de pleurer sur les adieux politiques, mais de faire de la langue française un espace d’échange, pas de domination. D’en faire une langue qui cohabite, qui s’adapte, qui se décline à l’africaine, à l’antillaise, à la québécoise, sans sourciller. Une langue qui accepte d’être plurielle, vivante, et surtout… humble.
La langue française ne va pas disparaître parce que trois pays claquent la porte de l’OIF. Elle risque plutôt de devenir moins désirable, moins utile, moins vivante, si elle continue à être vécue comme un héritage imposé plutôt qu’un outil partagé. Elle doit s’ouvrir un peu… au lieu de s’enfermer.
Alors non, le français ne rend pas l’âme. Il éternue peut-être un peu. Il bougonne face aux départs sahéliens. Il toussote dans les sommets diplomatiques. Mais il est encore là, avec ses exceptions grammaticales, ses proverbes vieillots, ses néologismes branchés, ses slameurs, ses profs de lycée et ses réseaux sociaux. Mais s’il veut survivre dans un monde en mouvement, il devra surtout apprendre à écouter. Et à laisser un peu de place autour de la table. Car à force d’insister pour être le seul à parler, il risque surtout d’être le seul à ne plus être écouté. La langue française n’est pas morte. Elle a juste besoin d’un petit bain de modestie.