Il semble que le décret promulgué par Kais Saied prorogeant l’état d’urgence jusqu’à la fin janvier ait suscité un effet contraire à la volonté présidentielle d’éviter toute mobilisation populaire le 14 janvier, date anniversaire du départ, voici douze ans, de l’ancien dictateur Zine Ben Ali. Depuis quelques jours, les appels des Tunisiens à descendre dans les rues se multiplient.
Ce samedi, le risque de confrontation est réel. Le peuple est épuisé par les pénuries, les frustrations et les espoirs déçus. Les forces de l’ordre et l’armée restent globalement favorables au régime en place
Mortadha Laabidi, militant politique et enseignant
Rappelons que le 14 janvier, c’est la date anniversaire de la fuite de Ben Ali en 2011 à la suite de 29 jours d’émeutes à travers tout le pays. Les Tunisiens, Kais Saied excepté (1), ont jusque-là célébré comme leur victoire sur la dictature. Mais
La prorogation de l’état d’urgence jusqu’à la fin du mis de janvier 2023 vise à empêcher la mobilisation sociale, qui germe depuis un certain temps, d’éclater au lendemain de la publication dans le Journal Officiel de la nouvelle loi de finances qui n’a épargné personne et qui touche davantage les plus démunis et surtout les salariés dont des franges entières basculent chaque année au-dessous du seuil de pauvreté.
Le mois de tous les dangers
Si la mobilisation « organisée » par les partis n’inquiète pas vraiment le régime, celle qui pourrait se déclencher spontanément en raison d’une crise sociale sans précédent et du retour de pratiques autoritaires est toujours difficile à endiguer. L’histoire récente de la Tunisie a fait du mois de janvier celui des mobilisations sociales populaires: le 26 janvier 1978, grève générale décrétée par l’UGTT, le 3 janvier 1984, la Révolte du pain, le 5 janvier 2008, le déclenchement du Soulèvement du bassin minier de Gafsa, le 14 janvier 2011, la fin du régime dictatorial.
La société tunisienne qui a vécu l’année 2022 au rythme d’une consultation populaire électronique et d’une élection d’un nouveau parlement saluée par un boycott impressionnant, est au bord de l’implosion.
Au bord de l’effondrement économique
En effet, sur le plan économique, tous les indicateurs virent au rouge : déficit budgétaire, déficit de la balance commerciale, taux d’inflation à deux chiffres, réduction des réserves en devises de la Banque Centrale, dévalorisation du dinar par rapport aux devises de référence, endettement excessif. L’Etat se trouve dans l’incapacité de financer les investissements dans les secteurs productifs et même de répondre à la demande sociale. Ce qui a donné lieu à une pénurie des produits de première nécessité (semoule, sucre, huile végétale, lait…) médicaments, doublée d’une hausse des prix des produits de consommation courante et des services. Les manifestations de la pauvreté deviennent visibles à l’œil nu.
La publication de la nouvelle loi des finances a exacerbé les tensions malgré le discours trompeur des responsables qui ne cherchent qu’à satisfaire les attentes des institutions financières internationales par la mise en exécution de leurs dictats, chose que les gouvernements antérieurs n’ont osé faire. C’est ce qui laisse régner sur tout le pays un climat d’attente et de peur.
Cette situation d’impasse a ouvert les portes non seulement aux spéculations de tous genres. La plupart des scénarios font du départ de Kais Saied un préalable nécessaire. Il en est ainsi de la proposition du « Front du Salut », regroupement de partis et de personnalités autour du parti islamiste Ennahdha.
L’UGTT à la manoeuvre
Mais l’initiative qui retient le plus l’attention des Tunisiens est celle animée par la Centrale Syndicale (UGTT) et ses partenaires : Conseil de l’Ordre des Avocats, Ligue des Droits de l’Homme et Forum des Droits Economiques et Sociaux Ils appellent à l’organisation d’un dialogue, sans préciser qui y participera, ni autour de quel contenu, quelle en est la finalité… et sans dire si le président de la République y sera associé
De telles initiatives sont-elles capables de soulager les souffrances du peuple? Ou de tenter de sauver le système en place,
(1)Kais Saied a développé une lecture historique inédit en créant une opposition factice entre le 17 décembre, date de l’agression contre un jeune marchand ambulant à Sidi Bouzid et le 14 janvier, lorsque le président Ben Ali prend la fuite vers l’Arabie Saoudite. Le chef de l’état considère le premier événement comme la véritable date de la révolution et le second comme celui de la victoire de la contre révolution. D’ailleurs le 14 janvier ne figure plus sur la liste officielle des fêtes nationales.
La nouvelle constitution tunisienne, une sorte de lasagne indigeste