Tunisie, Kaïs Saïed doit changer le mode de scrutin

Ezzeddine Ben Hamida, Professeur de sciences économiques et sociales, réfléchit sur les choix qui se posent à Kaïes SAÏED en matière de choix constitutionnels et de mode de scrutin

L’activation par le Président Saied de l’article 80 de la constitution de 2014 en décrétant l’Etat d’Exception et des mesures dérogatoires, le dimanche 25 juillet au soir, a pris de court tout le monde. En effet, après une journée chaotique sur tout le territoire tunisien où les forces de l’ordre ont été largement dépassées par l’ampleur des manifestations des jeunes, le Président de la République a estimé, conformément aux termes de l’article 80, qu’il y avait, « (…) péril imminent menaçant les institutions de la nation et la sécurité et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ». Aussitôt des scènes de liesse et d’euphorie ont envahi tout le pays. Un pays gangréné par la corruption et le banditisme politique.

Coup de massue pour Ghannouchi

Le décret présidentiel N°2021-117 du 22 septembre 2021, relatif aux mesures exceptionnelles a enfoncé davantage le clou, un coup de massue pour Rached Gannouchi et ses amis. « Ils sont par terre à plat ventre», ironisent les Tunisiens ! En fait, le Président a tout bonnement suspendu la constitution de 2014 en lui substituant un cadre institutionnel (petite constitution) qui va lui permettre de gérer le pays et surtout d’assurer la transition vers une IIIéme République selon ses vœux ! Pas si vite, s’il vous plaît ! Est-ce que la constitution de la IIème République, c’est-à-dire celle de 2014, est si mauvaise que ça ? Ne faut-il pas plutôt regarder du côté du mode de scrutin ?

La loi électorale actuelle, « la proportionnelle au plus fort qui reste » est la source principale d’instabilité parlementaire et politique car, en l’état actuel des choses, elle ne permet pas de dégager une majorité parlementaire claire et stable capable de gouverner. La constitution de 2014 n’est pas incriminée. 

Des faux débats

K. SAÏED président en exerce est-il un « putschiste »? Mais voyons! Le débat enfle et s’impose peu à peu sur la place publique entre partisans, qui le considèrent comme étant l’homme providentiel que la Tunisie attendait pour faire face au Machiavélisme de monsieur monsieur Rached Gannouchi, et ses détracteurs qui n’hésitent pas, vent debout, à le traiter de « putschiste ». Heureusement le ridicule ne tue pas !

Ces grandes gueules omettent au passage l’autorité morale du Président que lui confère son élection au suffrage universel direct et l’Article 72 face au régime des partis : « Le Président de la République est le Chef de l’État et le symbole de son unité. Il garantit son indépendance et sa continuité et veille au respect de la Constitution. » Ces mots attribuent au Président de la République une autorité morale extraordinaire, singulière. Une autorité qui surplombe toutes ses prérogatives présidentielles. Il est en clair notre dernier rempart contre l’effondrement, la dislocation de l’Etat. Par ce fait, les articles 77 et 80 ne sont que les outils de cette autorité morale. Une autorité jusque-là ignorée, obstruée, inexploitée! 

La tentative de présidentialisation 

En fait, la problématique est toute trouvée et depuis d’ailleurs la présidence de Béji CAÏD ESSEBSI : « le Président serait faible car la constitution ne lui attribue pas la totalité des prérogatives nécessaire pour son exercice », soutenaient certains proches du Président –du moins ils se définissent comme tel-. Pour enfoncer le clou, quelques constitutionnalistes et anciens collègues du professeur K. SAÏED, suggèrent, avec audace à peine voilée, la présidentialisation du régime. En cette période où la Tunisie se cherche encore, le pays aurait besoin d’un homme fort qui dispose de tous les leviers du pouvoir.

Pourtant, on peut aussi imaginer une réforme empruntant qui chercherait à réconforter davantage notre régime semiparlementaire (hybride) pour en faire un régime totalement parlementaire ; et, faire ainsi de la fonction présidentielle une simple fonction honorifique, à l’instar de l’Allemagne ou encore de l’Italie. Aussi l’homme fort serait le Chef du gouvernement.

En fait, le débat sur la nature du régime politique est un faux débat. Le régime hybride de notre constitution est le plus approprié à nos spécificités socioculturelles. Il s’agit d’un régime assez équilibré où la dérive vers la présidentialisation de l’exercice du pouvoir n’est pas de mise. Montesquieu (1689- 1755) ne disait-il pas « l’abus de pouvoir n’est empêché que si, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » (in De l’esprit des lois, 1748) ?

Le mode de scrutin en question

Quelle loi électorale pour la Tunisie ? Voici une vraie question pour la Tunisie. Le scrutin « de listes à la proportionnelle au plus fort reste» est source d’instabilité La proportionnelle a été adopté pour élire en octobre 2011 les députés de l’Assemblée nationale constituante. Reconduite pour les élections législatives de novembre 2014 et 2019, elle a donné lieu, à chaque scrutin, à des alliances contre nature ayant conduit le pays vers l’incertain car les partis n’ont pas nécessairement la même vision de l’intérêt commun et du propre. Ce mode de scrutin ne permet pas souvent de dégager une majorité parlementaire stable pour pouvoir gouverner. En fait, il est source d’instabilité politique dans les pays connus par leur pluralisme de partis.
Aussi, il a fallu en 2014 des mois de tractations et de négociations à Nida Tounes pour aboutir à la formation d’un gouvernement pluriel. Lors du scrutin de 2019, le scénario était encore pire : L’équipe formée par Habib JEMLI, soutenue par Ennahdha, n’a pas obtenu le vote de confiance de l’Assemblée malgré d’âpres négociations qui ont duré près de deux mois. Le Gouvernement de Elyes FAKHFEKH, quant à lui, n’a pas résisté à la première tempête. Concernant l’équipe de Hichem MECHICHI n’en parlons plus : elle était devenue l’hérésie de la vie politique tunisienne. Son gouvernement n’a rien en effet pu faire de significatif ; il a été objet de toutes les compromissions. 
Le scrutin majoritaire à deux tours serait-il la solution ? Vu les circonstances politiques et les exigences exceptionnelles de cette période, onze ans après la révolution, il faudrait opter à notre sens pour un mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Ainsi, nous aurons, à défaut d’une majorité absolue au premier tour –ce qui est fort probable- des possibles alliances entre les deux tours. En tous les cas, ce mode de scrutin limitera la fragmentation partisane et assurera la stabilité du régime