Depuis la révolution de 2011, les éditocrates ont envahi le paysage médiatique pour jeter en pâture leurs « petites phrases ». Du bourrage de crane à l’imposture, une chronique de Mounira El Bouti
Eux, ce sont les animateurs, les chroniqueurs et les politiciens qu’on voit du lundi au dimanche à la télévision et qu’on entend chaque matin et midi à la radio, ils ne s’arrêtent jamais de parler et surtout, ils parlent de tout. Et c’est entre autre à cela, qu’on les reconnaît.
A l’ère de Benali, la télévision nationale était l’un des instruments du système, portant les couleurs du parti unique pour transmettre les messages qu’il faut afin d’assurer la survie politique et la continuité de la dictature.
Les chaînes de télévision privées, apparues depuis la fin des années 90 se comptaient sur le bout des doigts et se faisaient dicter leur ligne éditoriale – si elle existe – mais depuis la révolution, les télés/ radios/journaux ont fusé, et les mass media pleuvent abondamment sur la Tunisie avec des lignes éditoriales libres et du contenu « indépendant ».
L’abondance des médias a rendu les plateaux télé accessibles aux influenceurs et aux célébrités d’une part comme aux imposteurs, d’autre part. Les éditocrates se sont proliférés et sont devenus à la télévision ce que la politique est au pays. Une image.
La pensée-minute post-révolutionnaire
S’il a fallu beaucoup de courage aux Tunisiens pour supporter les années de dictature et de répression, il leur en faut autant pour ingurgiter matin, midi et soir la soupe insipide des donneurs de leçon qu’ils ne sauraient pas passer une semaine sans croiser sur Nessma Tv, El Hiwar, Hannibal TV, Attessia Tv, la Télévision nationale et tant d’autres.
Depuis la révolution, des experts en rien, nous livrent des avis sur tout. Ils disent à l’auditeur-lecteur-télespectateur-citoyen leurs commentaires sur la Tunisie, sur comme elle est et comment elle devrait être. Ils protègent les intérêts de certains au détriment d’autres. Mais ça c’est une autre affaire.
Oui, les Tunisiens doivent avoir l’âme chevillée au corps pour supporter tout cela. Si on les passait à la loupe et si on regardait de près leurs erreurs, leurs complicités, leurs défauts, leurs multiples contradictions, on verrait plus de forme que de fond chez nos « leaders d’opinion ». Et ça aussi c’est une autre affaire.
Le Tunisien n’arrive pas à se faire une place dans ce système d’information dont la politique est pourtant tributaire et vice versa. Et le plus dangereux c’est qu’il devient de plus en plus compliqué pour lui de se faire sa propre opinion.
Comédie sociale des mœurs
Nos talk-shows sont nombreux mais vides. Des émissions sociales, aux émissions satiriques, aux plateaux politiques, aux interviews : nos talk-shows n’ont qu’une seule mission : faire remonter les débris à la surface. Un public déjà prêt, des questions visant stricto sensu à créer le buzz pour générer de la « pub ». Normal, en temps de crise, tout le monde pense à se remplir les poches. Et à se protéger pour les temps difficiles.
Des émissions où l’éthique et la morale ne sont pas maîtres-mots où les intervieweurs ne font pas du professionnalisme leur objectif principal et où les interviewés se laissent aller, confiant de l’audimat et du public « curieux » et « intéressé ».
Du copié/collé de la télévision française
Ironie du sort, la misère sociopolitique de nos émissions est accompagnée d’une autre misère : le plagiat. Nos émissions sont, pour la plupart, « inspirées/copiées » des talkshows français avec ou sans autorisation : même principe, même décor avec un public et des animateurs différents.
Par exemple, « Andi Ma Nkollek » [J’ai quelque chose à te dire] de Alaa Chebbi est l’équivalent tunisien de l’émission française « il n y a que la vérité qui compte », alors que « L’émission » de Amine Gara copie de l’émission française TPMP, « Labess » [ça va] de Naouef Ouertani est une imitation l’émission française « Ce soir chez Arthur », « Oumour Jeddia » [Choses sérieuses] d’El Hiwar Ettounsi est quant à elle une copie de l’émission « Touche pas à mon poste » de Direct 8. Alors que 100 Façons d’Attessia TV est la copie tunisienne de Vendredi, tout est permis de TF1.
Dans nos plateaux, la forme devient le fond, les propos agressifs et insultants, cris, énervements et gesticulations remplacent les conversations normales. Le ballet des silhouettes et des volutes successives nous donne rendez-vous tous les vendredis, samedi et dimanche soir et sur des chaînes différentes : zappez, il y en a pour tous les goûts !
Le reste des jours de la semaine sert de champ libre pour la fabrique des imposteurs politiques et économiques grâce à leurs comédies, leurs farces et leurs tragédies. Le crédit qu’ils parviennent obtenir dépend du profit de leur parti ou entreprise.
C’est dire qu’on copie tout et n’importe quoi en transformant nos écrans en poubelle de la télévision française avec des concepts vulgaires, superficiels qu’on n’a même pas su copier. Que d’abrutissement et de manipulation. Quelle culture pour nos enfants ?