Sahel: une dégradation sécuritaire continue.

Le 22 septembre 2022, le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, lors d’une réunion en marge de l’Assemblée générale des Nations unies s’est inquiété de « l’insécurité » et de « l’instabilité » au Sahel, qui, selon lui représentent « une menace mondiale ».

André Marie POUYA Journaliste, consultant centre4s.org

La Mauritanie reste n’a pas été attaquée par les terroristes depuis 2011, et accueillait, fin octobre 2022, jusqu’à 115 136 réfugiés et demandeurs d’asile maliens sur son sol. Le Tchad essuie des attaques sporadiques, telle celle survenue le 22 novembre dernier, dans l’île de Bouka-Toulloroum, province du Lac Tchad, et attribuée au groupe Boko Haram. Toutefois, le Tchad garde une certaine maitrise de son espace territorial. Le Niger a réussi, jusque-là, à empêcher les terroristes d’occuper une once du pays, partiellement avec l’appui aérien des forces françaises. Le Burkina Faso perd pied face aux attaques régulières de terroristes et de bandits dont l’emprise s’étend sur 40% de sa superficie. De son côté, le Mali ne cesse de s’enfoncer sous les terribles coups de boutoir des djihadistes qui occupent ou menacent 80% de son sol.

L’Afrique de l’Ouest engloutie

Le 22 novembre, à l’ouverture d’une réunion de l’Initiative d’Accra, le président ghanéen Nana Akufo-Addo, a prévenu ses pairs que la dégradation de la sécurité au Sahel « menace d’engloutir toute l’Afrique de l’Ouest ». « Les groupes terroristes, enhardis par leur succès apparent dans la région, sont à la recherche de nouveaux terrains d’opération, un développement qui a entraîné une évolution de la menace vers le sud », a-t-il ajouté. Son hôte, Charles Michel, président du Conseil européen, renchérit : « Depuis des années, nous parlons du risque de contagion de la menace terroriste du Sahel aux États côtiers. Aujourd’hui, ce n’est plus un risque, c’est une réalité. » Mali et Burkina, les maillons faibles.

Fin octobre 2022, de retour d’un déplacement au Sahel, Victoria Nuland, la soussecrétaire d’État américaine, a fait état d’une hausse d’environ 30 % des actes terroristes au Mali, les six derniers mois, malgré la présence des troupes de Wagner. Au moins 80% du territoire reste sous l’emprise des djihadistes. Au mois de juillet dernier, ils ont même pu lancer une opération contre la garnison de Kati, dans la banlieue de Bamako. Depuis mars dernier, les régions de Gao et de Ménaka sont le théâtre d’une vaste offensive de l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS).

L’ONU et les organisations non gouvernementales (ONG) rapportent des opérations punitives contre des communautés accusées d’aider l’ennemi ou de refuser de rejoindre les rangs djihadistes. Quant au Burkina Faso, les chiffres sont éloquents. Le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR) enregistrait, au 31 octobre 2022, 1 719 332 Personnes déplacées internes (PDI), soit une augmentation de 2,48%, en un mois. À la même date, environ 22% des structures éducatives étaient fermées. Ces fermetures affectent 1 008 327 élèves, soit 490 622 filles (48,66%) et 517 705 garçons (51,34), ainsi que 28 919 enseignants, soit 9 171 femmes et 19 748 hommes. Officiellement, 40 % du pays échappe au contrôle de l’État burkinabè.

En réalité, la situation est bien pire. Le 12 octobre 2022, s’adressant à la classe politique et à des responsables d’ONG, à Ouagadougou, le chef de l’État en personne avoue que le territoire est presque perdu. Il ajoute que l’armée est politisée, a quitté son fondement, et est infiltrée par les politiques. Chaque officier supérieur agit en fonction de son bord politique. Entre Ouagadougou et BoboDioulasso, la circulation devient de plus en plus difficile. Autrement dit, les deux plus grandes villes du pays, les capitales politique et économique, peuvent, à tout 2 moment, être isolées et prises par des terroristes. Le Niger est surtout fragilisé dans sa partie sud-ouest, région de Tillabéry, à ses frontières avec le Burkina et le Mali, d’où viennent les terroristes qui l’attaquent et qui s’y replient.

Quelles solutions ?

En juin, le Conseil de sécurité de l’ONU décidait de prolonger d’un an la MINUSMA. Mais, avec quelle opérationnalité, sans le soutien aérien de la France, qui s’est totalement retirée du Mali en août, et sans l’appui en renseignements des ÉtatsUnis ? La décision prévoit un maintien des effectifs actuels, présents dans le pays depuis 2013, soit13 289 militaires et 1 920 policiers. Des effectifs appelés à fondre, puisque, depuis quelques semaines, une quinzaine de pays, pourvoyeurs de troupes et de matériels, annoncent leur retrait de la MINUSMA.

La même décision demandait au secrétaire général de présenter, d’ici à janvier 2023, une réadaptation du format de la MINUSMA et l’évaluation de ses relations avec la junte militaire au pouvoir. Selon Antonio Guterres, une revue d’ensemble du rôle de la MINUSMA est en cours, à la lumière des changements survenus dans le pays et des défis qui persistent, en dépit des efforts collectifs.

Le G5 Sahel pratiquement mort

Depuis le retrait du Mali, le 15 mai 2022, Bamako accuse le G5 Sahel d’être ‘’instrumentalisée’’ de ‘’l’extérieur’’ avec entre autres conséquences de priver le chef de la junte d’en assurer la présidence. De ce fait, l’épicentre du terrorisme n’entretient plus tellement de coopération militaire avec ses anciens alliés qu’il soupçonne d’épouser le leadership de la France. Devant l’Assemblée générale des Nations-Unies, la junte malienne a accusé la France de soutenir les terroristes en armes et en renseignements. Des accusations reprises au Burkina Faso, par des manifestants qui réclament le départ de l’opération Sabre, constituée de 300 commandos français, cantonnés à Kamboinsen, dans la périphérie de Ouagadougou.

Dans ce pays, face aux difficultés de l’armée, le gouvernement a entrepris de créer une Brigade de veille et de défense patriotique forte de 50 000 volontaires. L’engouement était au rendez-vous, puisque 90 000 personnes se sont inscrites. Après la visite d’incorporation, celles retenues recevront une formation militaire de quelques semaines avant d’être déployées sur le théâtre des opérations. Est-ce la solution ? Une lueur d’espoir est aussi venue d’Accra, au Ghana.

Une lueur d’espoir venue d’Accra

C’est dans l’optique d’assurer la sûreté et la sécurité collective des populations de la région, que sept Chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO ont pris la décision, il y a de cela cinq ans, de créer un organe régional nommé « Initiative d’Accra ». Le 22 novembre 2022, à Accra, les présidents ghanéens, béninois et togolais ainsi que les Premiers ministres de Côte-d’Ivoire et du Berkina se sont retrouvés de nouveau. Des représentants de la CEDEAO et le président du Conseil européen, Charles Michel, étaient également présents. Le Royaume-Uni y a dépêché son ministre des Forces armées, tandis que l’Allemagne, les États-Unis, l’Espagne, la France, la Norvège et les Pays-Bas envoyaient des messages d’intérêt. Le Mali a boycotté la rencontre qui avait pour thème : « Initiative d’Accra : Une réponse crédible, préventive et coordonnée face aux défis sécuritaires dans les États côtiers et sahéliens ».

L’initiative d’Accra a annoncé vouloir envoyer au Burkina Faso une force conjointe de 2 000 soldats. La force devrait, à terme, en compter 10 000, principalement basés à Tamale, dans le nord du Ghana, tandis que le renseignement sera basé à Ouagadougou. Jusque-là quelque peu attentiste vis-à-vis de l’initiative, le géant Nigeria a pris la décision de s’engager pour la mobilisation de ressources puis dans l’appui aérien et logistique aux troupes. Une contribution qui est la bienvenue. Cette force conjointe aura besoin d’un budget estimé à 550 millions de dollars américains, soit 275 milliards de FCFA. Où les trouver ? Auprès des pays concernés et des puissances occidentales ayant manifesté leur intérêt pour l’initiative. On s’acheminerait vers un double leadership Nigeria et Royaume-Uni.

L’Appel du Centre4s.

Conformément à ses objectives, le Centre de Stratégie pour la Sécurité du Sahel Sahara (centre4s.org) ‘’œuvre afin que cette région, le Sahel, demeure un acteur de son devenir et non un sujet de préoccupations ou une source d’instabilité pour la communauté internationale.’’ A cet effet, il invite l’ensemble des pays sahéliens concernés par le terrorisme à coopérer réellement en mutualisant leurs moyens humains et matériels et de reconnaitre l’importance de la coopération internationale en particulier dans le domaine sécuritaire.

Le prochain Sommet du G 5 Sahel en février 2023, à Niamey, devrait en offrir l’occasion. La cacophonie actuelle ne peut que contribuer à affaiblir davantage, chaque jour, les forces qui combattent le terrorisme au Sahel. André Marie POUYA Journaliste, consultant centre4s.org