Source : Ici Beyrouth, Michel Touma
C’est un optimisme (très) prudent qui a marqué ces derniers jours les pourparlers engagés à la fin de la semaine dernière à Paris par de hauts responsables américains, israéliens, égyptiens et qataris. Objectif recherché: aboutir à une trêve d’au moins un mois, peut-être deux, dans le conflit de Gaza afin, notamment, d’obtenir la libération des otages détenus par le Hamas. Mais à moyen et plus long termes, l’ambition – chimérique? – des décideurs internationaux est d’enclencher, après la trêve, un processus de solution globale à la crise du Proche-Orient, fondée sur l’option des deux Etats.
Depuis l’attaque meurtrière lancée par le Hamas le 7 octobre dernier, la « solution à deux Etats » est sur toutes les lèvres, devenant même le leitmotiv des instances arabes et internationales. Une telle option a été historiquement, de manière irrégulière, au cœur du conflit du Proche-Orient depuis la proclamation de l’Etat d’Israël, en mai 1948. Le vote par l’Onu, en novembre 1947, du plan de partage de la Palestine portait sur la création de deux Etats. A l’époque, ce plan de partage prévoyait un Etat palestinien dont l’étendue géographique (englobant la Cisjordanie et Gaza) était globalement équivalente à celle de l’Etat israélien en gestation.
En bon héros de l’irrationnel et de la surenchère populiste et démagogique, les pays arabes devaient rejeter ce plan de partage, et donc le projet d’Etat palestinien. A la suite de la première guerre arabo-israélienne de 1948-1949, la Jordanie prenait le contrôle de la Cisjordanie, et Gaza passait sous la souveraineté de l’Egypte. Ces deux territoires seront occupés par Israël pendant la guerre de juin 1967, ce qui devait paver la voie, plus tard, à une politique continue de « grignotage » de territoires sous la forme de l’implantation progressive de colonies israéliennes dans ces deux territoires palestiniens.
A la faveur de la conclusion des accords d’Oslo, en septembre 1993, grâce à l’audacieuse (et pragmatique) décision politique prise par l’OLP de Yasser Arafat et le gouvernement travailliste israélien, sous la conduite de Yitzhak Rabin, les Palestiniens se sont trouvés devant une nouvelle opportunité réelle d’obtenir un Etat indépendant, au côté de l’Etat israélien, sur base de la récupération de la Cisjordanie et de Gaza. Cette opportunité ainsi que l’ensemble du processus d’Oslo, qui posait les jalons d’une paix inespérée dans la région, ont toutefois été torpillés aussi bien par la droite israélienne, après l’assassinat de Yitzhak Rabin en novembre 1995, que par le Hamas qui devait perpétrer à cette fin plusieurs attentats terroristes en Israël.
Aujourd’hui, la solution à deux Etats est à nouveau remise sur le tapis par les instances internationales et arabes, mais elle est rejetée une fois de plus par les mêmes deux acteurs obstructionnistes, le Hamas et l’extrême droite israélienne qui paraissent ainsi jouer les va-t-en-guerre, sans proposer d’alternative à Oslo. La guerre pour la guerre, au prix des souffrances et épreuves endurées par les populations civiles confrontées à des conflits armés à répétition, et stériles.
Au fil des décennies la situation des populations de part et d’autre ne faisait qu’empirer. Côté palestinien, un rapide regard sur l’évolution des délimitations géographiques de cette région de 1947 à nos jours, montre à quel point l’étendue du territoire qui aurait pu, et qui devrait, constituer l’Etat palestinien n’a cessé de diminuer comme peau de chagrin, d’année en année, de conflit en conflit. Plus les Palestiniens ratent les occasions, et plus leur territoire se rétrécie et se trouve « saucissonné » par les implantations israéliennes.
Au niveau de l’extrême droite israélienne, la posture est tout aussi irrationnelle, et politiquement dévastatrice pour l’avenir de la région. La guerre de Gaza prendra fin tôt ou tard, et certaines instances internationales planchent d’ores et déjà sur « le jour d’après ». Faire obstruction à la création d’un Etat palestinien indépendant, au côté d’Israël, reviendrait à opter pour l’Etat binational. Ce serait condamner la population israélienne à subir sans relâche les affres d’une guerre civile quasiment permanente et des attentats terroristes à répétition. Trop de sang a coulé, trop de haine a été forgée au cours des décennies passées. L’atmosphère belliqueuse serait d’autant plus lourde à supporter qu’au sein d’un Etat binational, les Israéliens seront rapidement confrontés à un grave problème démographique face à la population palestinienne.
Les décideurs régionaux se trouvent aujourd’hui face à un choix manichéen: la guerre permanente ou la paix durable. Et cette seconde option est liée à un passage obligé : le retour à l’esprit d’Oslo. Toute autre voie serait suicidaire.