A une semaine du deuxième tour des présidentielles au Bénin, l’alternance politique en jeu est attelée aux grands argentiers du pays, principaux faiseurs de roi de ces élections.
Marquée par la multiplication des candidatures d’hommes d’affaires dont deux, Lionel Zinsou et Patrice Talon, sont qualifiés pour le deuxième tour du 20 mars, la présidentielle béninoise a mis un coup de projecteur sur un phénomène en expansion dans la région: la percée des opérateurs économiques en politique, reflet du discrédit qui frappe les politiciens traditionnels.
Le temps des « self-made men »
Grands perdants de cette campagne, les ténors classiques de la politique béninoise se sont fait devancés par les businessmen en lice qui, traditionnellement, finançaient les partis politiques. Et qu’importe s’ils n’ont que peu, voire aucune connaissance pratique de l’Etat. Les « self made men » milliardaires version Afrique fascinent. « Ajavon, il n’a même pas le BEPC, Talon il est seulement à bac + 2 ! On s’identifie ! » se réjouit un jeune béninois. « Les politiciens n’améliorent pas notre situation. Si on essayait autre chose ? »
Un scénario similaire se dessine en République démocratique du Congo où le puissant gouverneur de la région du Katanga, Moïse Katumbi, qui a fait fortune dans les mines et la pêche avant de s’engager en politique en 2006, est devenu l’opposant le plus sérieux au président Joseph Kabila. « Les hommes politiques ne font plus rêver » tranche un diplomate occidental. « La porosité entre le monde des affaires et la sphère politique a permis aux opérateurs économiques de s’imposer comme des piliers du système politique. En parallèle, la corruption des élites dirigeantes et leur incapacité à améliorer le niveau de vie des populations a considérablement dégradé l’image des politiciens dont on estime avoir de moins en moins besoin ».
Fortunes, réseaux et porte-flingues
Au Bénin, les deux finalistes du second tour, l’un, Lionel Zinsou, expert financier, ancien de la banque Rotschild ; l’autre, Patrice Talon, magnat du coton et 15ème fortune d’Afrique francophone – aux antipodes sur leur programme et leur style – ont en commun leur inexpérience gouvernementale. Une lacune compensée par leurs réseaux et les moyens colossaux dont ils disposent pour rallier à leur cause des segments entiers du pays.
Premier ministre depuis seulement six mois, Lionel Zinsou a notamment comblé son manque d’ancrage politique dans le pays en s’adossant au parti au pouvoir, les Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE) et au président sortant Thomas Boni Yayi qui a mis les moyens de l’Etat à son service. Ami de l’ex ministre des affaires étrangères français Laurent Fabius dont il fut la plume entre 1984 et 1986, Zinsou bénéficie par ailleurs du soutien de François Hollande et de la bienveillance de grandes entreprises françaises qui convoitent les marchés béninois.
Face à lui, le milliardaire Patrice Talon a mis la main à la poche pour mener une campagne de grande ampleur sur le terrain destinée à compenser sa faible assise populaire. Réputé sulfureux, le candidat dit de la « rupture » qui s’était rendu en Porsche pour voter au premier tour dans un quartier populaire de Cotonou a d’autres atouts que l’argent. Ennemi juré du président qui l’accuse d’avoir voulu l’empoisonner, Talon rassemble autour de sa candidature les nombreux déçus du « système Yayi » dont certains, puissants, sont loin d’être des enfants de coeur.
C’est le cas du volcanique Candide Azannaï. Député de l’opposition décrit pendant des années comme le « capitaine de fraude électorale » de Boni Yayi dont il s’est désolidarisé pour avoir été « insuffisamment récompensé », son soutien à Talon donne à la candidature du milliardaire une saveur pimentée. Ancien enseignant de philosophie très introduit dans le secteur des transports, originaire du quartier de Jonquet, haut lieu du narcotrafic et de la prostitution en plein centre de Cotonou, Azannaï, s’est progressivement imposé à la tête d’un puissant gang qui assure sa protection.
Son ralliement à Patrice Talon assure à ce dernier un soutien musclé. Lors des élections législatives de mai 2015, Azannaï s’était fait particulièrement remarqué pour avoir mobilisé des centaines de jeunes mercenaires armés qui ont semé la panique dans la capitale quadrillé de faux check points en moins d’une demi journée. Vainqueur dans la 16ème circonscription de Cotonou d’ordinaire acquise au parti de la Renaissance du Bénin (RB) allié pour les présidentielles à Boni Yayi, son résultat avait provoqué la stupeur dans le camp du président.
A l’issue d’un échange de violentes injonctions, le chef de l’Etat avait tenté de faire interpeller le député. Peine perdue. Malgré l’envoi de la garde républicaine au domicile d’Azannaï à Jonquet, Boni Yayi n’a pu déloger de sa forteresse le puissant fauteur de trouble qui fait désormais figure de « porte-flingue » de Talon. Un épisode révélateur des faiblesses du président, dissuadé une bonne fois pour toutes de briguer un nouveau mandat. « Pour avoir le changement, il faut acheter le pays et ceux qui le tiennent » lâche un journaliste béninois.
Le scrutin de la revanche
Soutenu à l’issue du premier tour par Sebastien Ajavon, autre businessman spécialisé dans l’agroalimentaire arrivé troisième aux élections, Patrice Talon est aujourd’hui le favori d’une compétition au parfum d’argent et de revanche. Détesté de Boni Yayi qui nourrit un sentiment paranoïaque vis-à-vis de lui, le magnat du coton n’a qu’une envie confie un homme politique béninois : « se venger du président qui a voulu l’extrader de France » où il s’était exilé après leur dispute. « Yayi fera tout pour l’en empêcher » assure un diplomate. Et pour cause. L’influence grandissante des hommes d’affaires en politique a pour corollaire la multiplication des procédures judiciaires contre les anciens dirigeants, notamment en matière de lutte contre la corruption. Or, « Yayi n’a aucun envie de finir comme Karim Wade, ou Blaise Compaoré » affirme un fin connaisseur du Bénin. Les biens du clan sont en jeu.