Tariq Ramadan est comme un serrurier chargé d’ouvrir une porte, il a besoin d’un passe-partout, Edwy Plenel, fondateur du site Mediapart.
S’il est pour ses disciples un maître, notre confrère Edwy Plenel est quoiqu’il arrive, un mètre. Celui qui sert à mesurer la modernité, la justesse d’une cause : le directeur de Mediapart est l’homme du temps. Un as de la pensée à la mode. Quand, face à Yann Barthès son interlocuteur de Canal Plus, je l’entends lancer une déclaration affectueuse à l’adresse de Tariq Ramadan, je me doute qu’il est en train de se passer quelque chose. Donc d’important puisqu’Edwy ne roule pas à l’ordinaire :
« Avec Ramadan, même si nous avons des divergences, nous devons fonder une maison commune »…
Voilà, les plans sont tracés et le ciment va tenir bon entre les fils de Trotsky, comme l’est Plenel, et la confrérie des Frères musulmans, dont Ramadan est le diamant en Europe. Quel rapport établir entre les idées de Léon qui n’avait jamais assez d’un couteau entre les dents et d’un anarchiste à fusiller pour être heureux et les frères qui prêchent un islam rigoriste et l’asservissement des fidèles ? Sans doute l’amour de l’ordre et de l’organisation de type militaire…
Entre Edwy et Tariq, la passion est si forte qu’elle voyage. Le 15 mars, sous l’égide de Ramadan alors que va se tenir à Bruxelles un forum organisé par le Qatar qui -interdit de rire- porte sur les « Dilemmes éthiques contemporains », le directeur de Mediapart va donc prendre la parole pour édifier les fidèles de la Oumma. Résumons, Plenel, officiellement militant de la démocratie et des droits de l’homme, « républicain » proclamé, s’en va, par sa présence, cautionner une dictature, un Qatar esclavagiste et corrupteur, un paradis fiscal, classé à la place 138 des démocraties dans le monde. Un État sans loi ni comptabilité publique ou un poète a été condamné à 15 années de prison pour avoir souhaité que le « printemps » soit une saison qui passe un jour par Doha… Mais il est également vrai que Dominique de Villepin, grand suporter de Mediapart, est à Doha, une sorte d’émir honoraire. Pour être complet, observons que ce pays couvert d’or peut être un bon investisseur pour une entreprise de presse, d’ailleurs il y a quelques années, frère Tariq a été en mesure de faciliter l’arrivée de capitaux vers les caisses d’un mensuel emblématique français, grand donneur de leçons. Dès lors on peut imaginer que, si un jour Edwy prend en main la cause bouddhiste, on va le retrouver en conférence en Corée du Nord…
Déjà Plenel a surpris en publiant un livre, hélas assez creux, où il affirme son intérêt et sa solidarité très tardive avec les musulmans, en Edwy c’est donc un converti philosophique qui s’exprime. Ceux qui se souviennent du Plenel (était-ce donc son double ?), associé à Alain Minc à la tête du Monde, ont toujours lu son journal comme l’indéfectible défenseur de la politique israélienne… Mieux encore, au cours d’un autre débat télévisé, notre ami si cathodique avait déclaré à Finkielkraut : « Sachez que je suis aussi juif que vous ! ». En l’Edwy nous n’avions pas alors senti le Tariq.
L’alliance trotskystes/Frères musulmans
Les savants, auxquels j’ai soumis le cas de notre maître, m’ont renvoyé à mon ignorance : la bonne entente entre les Frères musulmans et les disciples de Trotsky est vieille comme Nasser et la création du parti Baas. L’Union Soviétique prenant alors la défense des pays arabes, les enfants de Léon avaient choisi aussi sec le camp d’en face. Et pris au sein du monde musulman la défense des Frères, opprimés par des raïs socialisants et laïques. Voilà donc le temps des retrouvailles et le rêve de Pacs projeté par Plenel. À terme la France a le droit de rêver à un islamisme politique à la Erdogan, où la religion serait soluble dans la démocratie. Situation rarement observée au cours de l’histoire, sauf dans les salons de la reine d’Angleterre.
Pour être juste, et il est important de l’être quand on évoque Edwy, le référent en la matière, nous devons observer que d’autres trotskistes français ont déjà dansé quelques pas avec les Frères. « La question musulmane en France », l’excellent livre de Bernard Godard, vient de sortir chez Fayard pour nous rafraichir la mémoire. En 1983 l’esprit libertaire de la « Marche des beurs » a tellement effrayé le Parti socialiste que celui-ci a sous-traité la reprise en main des égarés à ses amis trotskystes. Alors les beurs sont morts noyés dans le tsunami musicalo-bêbête de SOS Racisme, Juju Dray, Eric Ghebali et leur bande nous intimant de ne pas « toucher à leurs potes ». En évoquant cette période, Godard, qui a tout d’un humaniste et rien d’un islamophobe, écrit : « Dans le gauchisme l’islam a commencé à occuper une place importante en raison du vivier intéressant que pouvait représenter les jeunes des « banlieues », de plus en plus socialisés par les mouvements islamistes, en particulier « fréristes ». Dans la revue de la Ligue communiste révolutionnaire, trotskiste donc, après une longue digression sur la laïcité on peut quand même lire : « C’est pour cela que c’est une erreur grave… d’exclure par principe toute organisation musulmane de la lutte anti-impérialiste ». Voilà, le sabre de Trotsky est bien compatible avec le goupillon de l’islam. Dans cet esprit la Ligue va prendre parti contre la loi du voile à l’école, au grand dam des militantes féministes elles-mêmes militantes de ce mouvement.
Trouvant la Suisse trop petite pour son rêve missionnaire, quand Tariq Ramadan ouvre une antenne et une boutique à Lyon, dans les années 90, il fait jonction avec plusieurs groupuscules « anti-impérialistes », écologistes ou évoluant dans l’esprit d’Attac. Épousant la cause de ses amis, Saint Tariq se sent prêt à pourfendre tous les Ramon Mercader.
Dans la naissance de la nouvelle passion arabo-musulmane de Plenel j’oubliais de citer un essai manqué, comme on le dit lors des concours d’athlétisme ou au rugby. L’écriture avec son compère Benjamin Stora -formé lui aussi aux délices de la pensée de Léon- d’un livre sur les « printemps » intitulé : « Un 1789 arabe ». Pour qui se sent morose aujourd’hui, l’achat de ce bouquin est recommandé.
O.P.A sur l’islam de France
Bien sûr Edwy ne va pas se saisir d’une auge et d’une truelle pour édifier la maison commune façon Trois petits cochons. Son édifice est une Tour de Babel faite de paroles et de papier. Papier, celui de son livre « Pour les musulmans » dûment récompensé par le Prix Cojep attribué par de fausses barbes des Frères musulmans turcs. Lors de la remise des lauriers on a pu voir notre nouvel Averoes face aux photographes. Mais aussi aux côtés d’une personne digne d’intérêt, Nabil Ennasri. Pour les curieux, cet éternel « doctorant » qui fait à la fois des piges et de la propagande pour le Qatar, est un « Frère musulman » influent navigant dans les ondes de Ramadan. Autour d’une table dressée face aux caméras d’Alain Soral, on a pu voir encore Ennasri faire bonne figure auprès des Farida Belghoul, Christine Boutin, Béatrice Bourges et les ultras cathos de Civitas. L’objectif de la réunion était d’exiger qu’une fois par semaine les parents retirent leurs enfants de l’école, une Éducation Nationale accusée faussement de vouloir enseigner « la théorie de genre ». Comme excuse Edwy peut avancer que dans une compétition, si rude, on ne choisit pas ses partenaires de podium.
À Mediapart, pour l’avancement de la « maison commune », Plenel, le patron, peut compter sur quelques employés. Le premier d’entre-eux se nomme Puchot, prénom Pierre. Ancien journaliste à La Croix, le jeune homme -du genre qui sait tout- n’est donc pas dépaysé dans ce monde sacré. Pour l’avancement d’une cause où il s’agit d’accoupler les Frères et le marxisme, sous la fausse bannière d’une bataille pour « la démocratie », Puchot vient de diriger un livre, supposé savant. Son but est clair : dé-diaboliser la confrérie des Frères musulmans. Je l’ai acheté, et même lu, ce qui est moins facile, sauf lors de quelques moments de détente, des oasis, où l’on évoque le discret et admirable Qatar, totalement innocent de toute tutelle des Frères… Le sommet du rigolo est atteint au cœur de la prose produite dans ces pages par Romain Caillet, un chercheur qui mérite le stop d’un instant. En dehors de provoquer l’admiration de Puchot, Caillet est aussi pour le gourou islamologue François Burgat, une sorte de « papamadit », un admirable disciple discipliné. Interrogé par Le Monde, quelques jours avant les attentats de janvier à Paris, notre chercheur-sachant, notre Romain, nous avait rassurés : s’il y a bien un pays qui ne risque pas le terrorisme, c’est la France. Pour en finir avec l’opus de Puchot, outre un chapitre sur les relations entre les Frères et Obama, un autre sur le Maroc et enfin celui sur le Hamas, dont on regrette qu’il soit financé par le ministère de la Défense, disons, pour filer la métaphore maçonnière chère à Plenel, que l’œuvre de Pierre est un parpaing dans l’édifice.
En France, à l’heure post-Charlie où il est difficile, après des années de lutte côte à côte avec les musulmans, de défendre à la fois la laïcité et l’islam, il doit être possible de démonter sereinement le Meccano inventé par Plenel et ses amis sans mériter une fatwa ou les clous de l’islamophobie. À l’heure aussi où le religieux Manuel Valls, lui-même, affirme se méfier des Frères musulmans, il apparaît que des mains républicaines se tendent, simplement charitables, pour permettre à Tariq et aux siens de franchir un nouveau pas dans leur djihad : la prise en main de l’islam en France.
1. En 1953 Saïd Ramadan, le père de Tariq dans le bureau ovale de la Maison Blanche, reçu par le président Eisenhower.
2. Pour les lecteurs vraiment curieux de percer un peu plus la vraie nature de Ramadan, celle qu’il n’expose pas à la télévision, je recommande de se procurer sur Internet un CD de conférence du prêcheur. D’écouter en particulier « Les Grands péchés », sermon enregistré dans une mosquée de La Réunion… Là on mesure l’ouverture d’esprit et la lumière diffusée par le Frère musulman.