Le récent référendum constitutionnel a été totalement éclipsé par l’hospitalisation du Président Tebboune, note le chercheur Michaël Ayari dans la dernière étude qu’il publie pour Crisis Group.
Le référendum constitutionnel organisé le 1er novembre 2020, jour du 66e anniversaire du déclenchement de la guerre de libération nationale, a été éclipsé de l’actualité par l’hospitalisation du président Abdelmadjid Tebboune et est loin d’avoir atteint le but escompté. Il était censé « codifier » les revendications du mouvement de protestation de 2019-2020 (hirak), comme l’avait promis le président durant sa campagne électorale. Il était également supposé renforcer la légitimité du chef de l’Etat, élu avec un faible taux de participation en décembre 2019, alors que le hirak battait son plein, et permettre au pouvoir de passer à d’autres chantiers, comme la dissolution de l’Assemblée populaire nationale (chambre basse) et l’organisation d’élections législatives.
Si le « oui » a recueilli près de 67 pour cent des suffrages, la participation officielle ne dépasse pas les 24 pour cent, le taux le plus bas pour une élection depuis que le pays a conquis son indépendance en 1962. La plupart des Algériens n’ont pas adhéré à la démarche du pouvoir, qui a cherché à présenter le référendum comme point de départ d’une nouvelle ère de probité, de prospérité économique et de démocratie.
La plupart des Algériens n’ont pas adhéré à la démarche du pouvoir, qui a cherché à présenter le référendum comme point de départ d’une nouvelle ère de probité, de prospérité économique et de démocratie. Cela malgré les quelques innovations présentées par cette nouvelle constitution. Celles-ci incluent la possibilité d’une cohabitation politique entre une majorité parlementaire et un chef d’Etat d’orientations politiques différentes ; l’extension de la responsabilité gouvernementale devant le parlement ; ainsi que le renforcement des attributions de la juridiction constitutionnelle. Autres éléments novateurs : ne plus devoir demander aux autorités la permission de tenir un rassemblement ou de créer une association ou un journal ; la constitutionnalisation de l’autorité nationale indépendante pour les élections ; et l’institution d’une haute autorité pour la transparence, la prévention et la lutte contre la corruption.
Comment expliquer ce manque d’enthousiasme ?
Il est frappant de constater le décalage entre, d’un côté, la volonté de régénérescence exprimée par le hirak, la radicalité de certaines de ses franges sur le plan politique (demande de renouvellement total de la classe politique, de création d’une assemblée constituante, d’un état civil et non militaire) et économique (fin de l’économie de rente, accompagnée d’un accès au marché national et au crédit pour tous les Algériens, et non seulement ceux qui ont des liens avec les réseaux du pouvoir) et, de l’autre, la relative timidité des réformes que le pouvoir a proposées dans le cadre de cette nouvelle constitution.
Nombre de citoyens semblent avoir perçu ce référendum comme une tentative de rééquilibrage bancal du système, se focalisant sur la redéfinition de la fonction présidentielle, comme ce fut le cas en juin et novembre 1976 sous Houari Boumediene, en novembre 1988 et février 1989 sous Chadli Bendjedid, en novembre 1996 sous Liamine Zéroual, et en novembre 2008 et février 2016 sous Abdelaziz Bouteflika.
Par ailleurs, ce référendum intervient dans un contexte très particulier. Le président Tebboune n’a pu mener campagne jusqu’au jour J. Le 28 octobre 2020, trois jours avant le vote, il a été transféré d’urgence à un hôpital en Allemagne, et aurait été placé sous respiration artificielle en raison de sa contamination à la Covid-19.
Ce scrutin, supposé marquer l’entrée dans une ère nouvelle, est ainsi éclipsé par un évènement qui rappelle la fin du règne du président Bouteflika : l’hospitalisation du chef de l’Etat à l’étranger et son adresse au peuple, par courrier, sans mention de son état de santé. Cette séquence a renforcé le sentiment de nombre d’Algériens selon lequel le pouvoir demeure une créature du passé et que la présidence Tebboune et son référendum s’inscrivent pleinement dans la continuité plutôt que la rupture. Ce scrutin, supposé marquer l’entrée dans une ère nouvelle, est ainsi éclipsé par un évènement qui rappelle la fin du règne du président Bouteflika.
Enfin, la situation sanitaire et économique est hors du commun, peu en phase avec le calme nécessaire à une consultation électorale à la symbolique aussi forte. La pandémie de Covid-19 menace et effraie – les restrictions de circulation de la population seraient sur le point de se durcir. L’économie est en berne. Le budget de l’Etat est sous tension à cause de la chute du prix du baril de pétrole et le contexte social est préoccupant à cause, notamment, des pertes de revenus que nombre d’Algériens ont accusées en raison des mesures de confinement partiel mises en place au cours de l’année écoulée.
Quels sont les risques de la situation actuelle ?
Le pouvoir, surtout le chef de l’Etat, n’a pu profiter du renouvellement de légitimité que lui aurait permis une adhésion massive au scrutin. Au plus, il pourra avancer à tâtons sur la piste des futurs chantiers politiques qu’il a décidés par le haut (dissolution de l’Assemblée populaire nationale et organisation d’élections législatives), mais sans en proposer de nouveaux.
Par ailleurs, plusieurs médias algériens évoquent, comme à la fin du règne de Bouteflika, l’imminence de l’application de l’article 102 de la constitution actuelle. Celui-ci prévoit l’incapacité de gouverner du chef de l’Etat et le transfert du pouvoir au président du Conseil de la nation (chambre haute), Salah Goudjil, membre du parti historique Front de Libération Nationale (FLN) et âgé de 93 ans. Si son état de santé l’empêche d’assumer cette tâche, la constitution prévoit le transfert du pouvoir au président de l’Assemblée populaire nationale, Slimane Chenine, membre du parti d’inspiration islamiste el Bina. Ce dernier scénario pourrait réveiller de vieux démons et polariser la scène politique entre islamistes et anti-islamistes.
Au cas où Tebboune ferait rapidement son retour, il devra rattraper le temps perdu par son absence en prenant l’initiative sur le plan politique. Dans ce cas, cependant, il risquerait peut-être de rentrer en conflit avec le chef d’état-major, Said Chengriha, qui a multiplié les apparitions médiatiques en tenue civile durant l’hospitalisation du président, comme pour combler le vide politique.
Si la présidence de la République et l’état-major de l’armée semblent s’accorder sur l’essentiel (la stabilisation du pouvoir, notamment par le rajeunissement de l’armée, la neutralisation des restes du hirak et le maintien à l’écart des obligés de l’ancien président Bouteflika), des désaccords secondaires pourraient surgir. Cela pourrait par exemple être le cas concernant la gestion des affaires militaires, notamment la composition de l’état-major. Tebboune est en effet le premier président civil, trop jeune pour avoir participé à la guerre de libération nationale, et donc moins coutumier que ses prédécesseurs des subtilités du fonctionnement corporatiste de l’armée algérienne.
Que pourraient faire les autorités algériennes pour éviter l’entrée dans une nouvelle phase d’instabilité ?
Même si une nouvelle période d’incertitude politique s’ouvre, depuis la pandémie, le pouvoir n’est plus contesté dans ses fondements par de massives manifestations de rue. Les risques de dérapages violents des autorités ou des contestataires ne sont plus d’actualité, du moins à court terme. D’autant qu’un reconfinement partiel pourrait être bientôt décrété et suivi sur tout le territoire en raison de la détérioration de la situation sanitaire.
En attendant cependant, les défis se cumulent. Au lieu d’annoncer avec insistance l’entrée dans une ère nouvelle, le gouvernement et la présidence de la République pourraient proposer un mécanisme de dialogue national qui s’attaquerait au problème le plus impérieux : l’économie.
Ce dialogue identifierait les obstacles à la sortie de l’économie de rente, proposerait des pistes d’action réalistes afin de les surmonter et ainsi éviter un choc économique majeur. Cela est d’autant plus important que le gouvernement risque de devoir recourir au palliatif de l’endettement extérieur en 2021, ce qu’il aura du mal à justifier auprès des Algériens.