Mauro Armanino est un prêtre missionnaire italien, également anthropologue et auteur engagé qui a vécu depuis 2011 au Niger et qui nous fait parfois l’honneur de ses chroniques. Toutes nos pensées vont vers lui alors qu’il a perdu son père le 16 octobre dont il se souvient dans le texte émouvant qu’il nous a fait parvenir.
Cinquante-six ans s’étaient écoulés depuis ta naissance. Les années de travail dans la briqueterie de Pila sul Gromolo à Sestri Levante, aujourd’hui engloutie par le néant, avaient également joué leur rôle. Un travail manuel avec le four pour cuire les briques et le réfractaire à l’ancienne. Peu de vêtements de travail et encore moins de protections. C’est pourquoi les doigts de tes mains étaient usés par la chaleur et la rugosité du produit. Les morceaux de caoutchouc découpés dans les chambres à air des motos et des vélos ne servaient pas à grand-chose. Ta peau était usée, comme ta vie de partisan.
Dans le livre ‘Regards de liberté’, publié par l’ANPI de Casarza Ligure, Val Petronio et Alta Val di Vara, on se souvient que, né en 1926, tu as rejoint la formation partisane en août 1944. Tu avais 18 ans lorsque tu as intégré le groupe de combattants jusqu’à la fin, le 25 avril de l’année suivante. Des témoignages probants affirment que toi, le partisan Kent, tel était ton nom de guerre, tu avais refusé de prendre les armes qui t’étaient proposées. Tu t’étais en revanche spécialisé dans la conduite des mules indispensables dans les montagnes à la frontière entre La Spezia et Parme. Tu n’as pas laissé beaucoup de souvenirs de cette période brève et intense de ta vie. Tu conservais seulement et transmettais avec pudeur le souvenir d’une expérience qui allait marquer le reste de ta vie.
Ton engagement syndical au sein de la Filca Cisl, la Fédération italienne des travailleurs du bâtiment et des secteurs connexes, s’inscrit dans la continuité de ton expérience de partisan. En tant que délégué de base, tu visitais les chantiers de construction et, au sein de la ‘ Fornace’, tu t’efforçais de faire reconnaître et respecter les droits des travailleurs. Tu lisais souvent ‘ Le Travail’, célèbre quotidien génois fondé en 1903 et fermé en 1992, dix ans après ton décès. Tes deux fils ont suivi tes traces et se sont engagés dans les événements et les luttes syndicales de ces « années de plomb », comme on les a appelées par la suite. Notre mère, ton épouse issue d’un milieu paysan, n’était pas toujours favorable à notre engagement syndical. Amoureuse de la justice et de la vérité, elle ne pouvait que nous apprécier secrètement. Néanmoins, c’est au sein de la famille que s’est développée la plus grande continuité avec ton expérience de partisan.
Orphelin très tôt de père et, de manière dramatique, de mère, tu as perçu la valeur unique et irremplaçable de la famille. Une vie difficile, marquée par le chômage d’après-guerre et des conditions de vie à la fois pauvres et dignes. Mais avec le temps et la ténacité, ta famille a trouvé une plus grande sérénité, y compris sur le plan économique. La plus belle chose, entre nous, était justement l’expérience concrète de cette liberté dont tu t’étais abreuvé pendant les longs mois passés dans la résistance, entre privations, peurs et certitudes. Le monde nouveau était à portée de main. C’est ce que nous, tes enfants, avons respiré pendant les années que nous avons eu la chance de partager en famille et qui continuent d’inspirer nos chemins. Ce n’est pas un hasard si, le jour de ton enterrement dans le petit cimetière sur la colline près de l’église où tu t’étais marié avec notre mère, il pleuvait fort. Dieu avait peut-être voulu te donner, à sa manière, un dernier regard de liberté comme bénédiction.
Mauro Armanino, Casarza Ligure, 16 octobre 2025




























