Le document final sur la mission du rapporteur de l’ONU, Philippe Alston, qui vient de passer dix jours en Mauritanie, sera présenté au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en Juin 2017. Dans une déclaration qu’il vient de rendre publique au terme de son voyage, ce diplomate de haut rang dresse un constat alarmiste sur l’extrême misère qui règne en Mauritanie. En voici l’essentiel.
« Les Haratines et les Afro-Mauritaniens sont systématiquement absents de toutes les positions de pouvoir réel et sont continuellement exclus de nombreux aspects de la vie économique et sociale. Ces groupes représentent plus des deux tiers de la population, mais diverses politiques servent à rendre leurs besoins et leurs droits invisibles. J’ai été constamment informé par les fonctionnaires qu’il n’y a pas de discrimination en Mauritanie, et certainement pas en raison de l’appartenance ethnique, de race ou de l’origine sociale. La répétition d’une telle position de principe pourrait raisonnablement être considérée comme une preuve du contraire. L’engagement du gouvernement à mettre fin aux «séquelles de l’esclavage» doit s’accroître pour aborder et viser directement la séquelle la plus durable, qui est la déresponsabilisation profonde continue dans la grande majorité des anciens esclaves.
L’insistance inflexible du gouvernement qu’il ne peut pas tenir compte de l’ethnicité dans ses politiques sert à renforcer le statu quo. Un exemple flagrant de ceci est le fait que les individus des deux groupes exclus constituent l’écrasante majorité de ceux qui n’ont pas été capables d’obtenir une carte d’identité nationale, sans laquelle très peu peut être fait en Mauritanie. Quand j’ai demandé une estimation du nombre d’adultes en Mauritanie qui ne disposent pas d’état civil sous la forme de carte d’identité nationale, je n’ai pas reçu de réponses convaincantes. Cela semble clair que le gouvernement ne sait pas combien de personnes ne disposent pas de cet statut. Sur la base des informations détaillées qui m’ont été fournies, il est clair que le problème est très répandu. Ceux qui n’ont pas le document ne peuvent pas voter, ne peuvent pas aller à l’école au-delà du niveau primaire, ne peuvent pas se qualifier pour de nombreuses prestations gouvernementales, et ne peuvent généralement pas posséder des terres. La bureaucratie responsable de la délivrance des cartes est lourde et ses fonctionnaires ne sont pas facilement accessibles. L’obtention du document est cher pour ceux qui vivent dans l’extrême pauvreté, pour des procédures d’appel il faut aller devant les tribunaux, et une série de critères bureaucratiques ont été prévus par la loi et la pratique ayant pour effet de dissuader de nombreux candidats, dont la plupart se trouvent être noirs.
Bien que pas seulement limité à eux, cela est particulièrement problématique pour les Afro-Mauritaniens qui ont été expulsés à la fin des années 1980 et au début des années 1990 dans le contexte du passif humanitaire, dont leurs documents d’identité ont été pris ou perdu, et au retour ont eu de graves difficultés pour restaurer leurs documents d’identité et de jouir de leurs pleins droits de citoyenneté.
La politique linguistique est un autre endroit où la discrimination existe dans la pratique. Un État est pleinement habilité à désigner une seule langue officielle, comme la Mauritanie l’a fait avec l’arabe. Mais dans un état multilinguistique, dans lequel beaucoup de gens ne parlent pas la langue officielle, il incombe au gouvernement d’adopter une flexibilité raisonnable au lieu d’insister que les communications soient en arabe.
Dans les instances internationales, la Mauritanie a constamment réaffirmé ses obligations en matière de droits économiques, sociaux et culturels. Les droits économiques et sociaux sont mentionnés dans le préambule de la Constitution, mais il n’y a pas de dispositions de fond traitant ceux-ci. Ils ne sont non plus reconnus de façon significative comme étant des droits essentiels dans la loi. Une reconnaissance officielle que des biens et de services tels que l’eau, les soins de santé, l’éducation, et l’alimentation sont des droits de l’homme pourrait commencer à transformer la façon dont sont formulées et mise en oeuvre les politiques de développement.
Au lieu d’être fondée sur les droits, les politiques nationales de la Mauritanie semblent être conçues plus avec une approche de charité envers ses citoyens. Bien que l’obligation d’être charitable soit une partie importante et admirable de la doctrine islamique, ceci ne tient pas en compte la nature et la portée des obligations formelles envers ses habitants en vertu du droit international des droits de l’homme.
Le gouvernement souligne à juste titre des diminutions importantes des taux de pauvreté et d’importantes initiatives de développement urbain pour mettre en évidence ses réalisations dans ce domaine. Mais ces réalisations doivent être considérées également à la lumière des sombres réalités persistantes. 44% de la population rurale continue à vivre dans la pauvreté. Les ménages dont le chef du ménage travaille dans l’agriculture ou l’élevage ont respectivement un taux de pauvreté de 59,6% et 41,8%. Le nombre exact des inscriptions à l’école primaire dans les wilayas tel que le Gorgol sont en dessous de 65,3%, et seulement 10% des enfants dans certaines zones rurales vont à l’école secondaire.
Le visage humain de la pauvreté au-delà des statistiques peut être illustré par référence au droit à la santé. Au cours de mes visites sur le terrain, un meilleur accès aux services de santé a été mentionné à plusieurs reprises comme une préoccupation majeure. Je suis allé au village de Kouedi au Gorgol, dont 350 résidents doivent parcourir 7 kilomètres pour parvenir à la ville de M’bout pour les soins de santé. Dans la commune de Bath Moyt, composé de douze villages, le seul dispensaire de la commune est composé d’un infirmier et d’une sage-femme. Les enfants sont souvent touchés par le paludisme et la diarrhée. En cas de complications, les villageois doivent louer un taxi pour parcourir plus de 20 kilomètres pour se rendre à Monguel, au coût de 8.000 Ouguiya. Pour les questions plus complexes, les patients doivent se rendre à Kaédi, au coût de 22.000 Ouguiya. La seule ambulance disponible pour transporter les patients des différentes localités de la commune au dispensaire est une charrette tirée par un âne. Dans le village de Keur-Madike dans le Trarza, il y a un dispensaire de santé, mais l’infirmière a quitté il y a deux ans et elle n’a pas été remplacée par le gouvernement. Le dispensaire est désert et verrouillé, mais l’équipement et des médicaments de santé coûteux sont restés abandonnés. Comme il n’y a pas de soins de santé fournis dans le village et la route de Rosso ne peut pas être atteinte pendant la saison des pluies, les villageois sont forcés de traverser le fleuve Sénégal pour se rendre au Sénégal pour les urgences ou en cas de complications d’accouchements.
Les femmes sont particulièrement touchées par l’absence quasi totale des soins prénatal et post-natal. Les résultats de ce manque d’installations sont durement reflétés dans les statistiques nationales. La Mauritanie a toujours l’un des taux de mortalité maternelle les plus élevés au monde. Le recensement de 2013 a révélé un taux de 582 décès pour 100.000 naissances vivantes. Mais les données de la Banque mondiale indiquent que le taux était aussi élevé que 655 en 2013 et 602 en 2015. Dans la même année, le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans était de 84,7 pour 1000, ce qui est une statistique tragique qui résume combien il reste à faire
Alors que le ministre de l’Economie et des Finances a présenté une vision impressionnante et humaine de la Mauritanie, il reste un écart énorme entre cette vision et les réalités sur le terrain. Au fil des ans, la Mauritanie n’a certainement pas manqué de grandes stratégies, et elle n’en manquera pas dans les années à venir. Des stratégies telles que la Stratégie de Croissance accélérée et de Prospérité Partagée (SCAPP), qui est actuellement en cours de préparation, continuera de faire trop peu de différence jusqu’à ce que les droits sociaux soient reconnus comme des droits de l’homme et que des efforts soient faits pour cibler non seulement les plus pauvres des extrêmement pauvres, mais aussi pour adopter des politiques ethniquement inclusives.
La Mauritanie dispose d’un Office Nationale de la Statistique fort et professionnel, mais la façon dont de nombreuses statistiques sont collectées, analysées et présentées par le gouvernement porte la marque d’ingérence politique. En conséquence à la fois de la manipulation des données et le refus de désagréger en termes d’ethnicité, de la langue et d’autres dimensions essentielles, il est extrêmement difficile d’obtenir une image précise et cohérente de la plupart des domaines de la vie sociale, ce qui rend la conception d’une politique efficace beaucoup plus difficile par la suite. De ce fait, ce qui est caché aujourd’hui, reviendra surement hanter dans l’avenir.
Trop de programmes de développement social du gouvernement sont ad hoc et répondent davantage aux circonscriptions électorales puissantes qu’aux besoins réels. Les donateurs internationaux n’ont pas réussi à encourager le gouvernement à fonder son approche sur des principes, ni à être systématique dans son approche, et ont ainsi consacré beaucoup trop peu d’attention au type de coordination qui renforcerait considérablement leur impact combiné. Il faudrait envisager la création d’un groupe des Amis de la Mauritanie, qui rassemblerait les principaux bailleurs de fonds, pour discuter des priorités en amont de leurs réunions régulières avec le gouvernement.