Dans une lettre ouverte à la responsable du FMI pour la Mauritanie, Mercedes Vera Martin, le directeur du journal le Calame, Ahmed Ould Cheikh, partenaire de Mondafrique, met en cause la gestion du FMI à Nouakchott et sa totale indifférence face au gaspillage des richesses minières de la Mauritanie
Madame,
Vous ne me connaissez pas. Vous n’avez peut-être jamais entendu parler de moi. Je me permets quand même de vous aborder. Le sujet est d’une telle importance qu’il n’est désormais plus possible de se taire. Votre institution, le Fonds Monétaire International (FMI) vous a fait hériter du dossier Mauritanie en 2013. Je n’ai cessé de suivre, depuis, vos visites dans notre pays, vos déclarations et communiqués sanctionnant chaque mission.
Vous êtes arrivée en pleine période faste, marquée, notamment, par une hausse sans précédent des cours du fer qui permirent, à la SNIM et, par conséquent, à l’Etat, son principal actionnaire, d’engranger des recettes-records. Les entrées fiscales et douanières étaient, elles aussi, au beau fixe. Mais, au fil du temps, la situation a changé du tout au tout. Les cours du fer ont plongé vers des abysses et les autres recettes n’ont pas compensé le manque à gagner. Vous deviez donc tirer la sonnette d’alarme.
Plus dure sera la chute
Madame, vous l’avez fait, mais en termes tellement diplomatiques qu’on vous croit feindre d’ignorer l’ampleur de la crise que traverse notre pays. Votre dernier communiqué, publié il y a quelques semaines, évoque ‘’un environnement extérieur plus difficile’’, ‘’les incertitudes accrues, au sujet des perspectives économiques mondiales, et les développements négatifs, sur les marchés mondiaux du minerai de fer [qui] ont beaucoup impacté l’économie mauritanienne et sont en train de modifier ses perspectives économiques’’. Après avoir fait preuve de beaucoup de complaisance, au cours des années passées, vous voilà rattrapée par l’amère réalité.
Ne vous êtes-vous jamais interrogée sur où sont passés les fruits de la croissance de 5 à 6% que vos « experts » s’ingéniaient, chaque année, à nous faire avaler ? Pourquoi n’avez-vous jamais posé de questions sur les sept milliards de dollars que la SNIM a encaissés, entre 2010 et 2014, grâce à la hausse spectaculaire des prix du fer ? Sur le racket auquel s’adonne le fisc, provoquant la faillite de dizaines d’entreprises et sur l’off shore trusté par le clan? Sur l’appauvrissement, continu, des couches les plus défavorisées ? La mainmise, sur le tissu économique, d’un cartel bénéficiant de passe-droits et d’avantages indus ? La multiplication des agréments bancaires délivrés en toute complaisance ? Les milliards du projet Emel, destinés, en principe, aux pauvres, et qui ne font qu’engraisser les mêmes parvenus ?
Main basse sur les importations
Ignorez-vous qu’un seul et même opérateur importe 90% des besoins du pays, a droit à l’exclusivité des devises et ne paie, pour autant, que 10 % des droits de douane ? Un simple calcul permet, pourtant, de déceler la supercherie : devises octroyées contre droits de douane (im)payées.
Avez-vous seulement une idée de la dépréciation rampante de l’ouguiya ? Le dollar s’achetait 230 ouguiyas, en 2008. Il en consomme 350, actuellement, malgré la bonne tenue économique que vous vantez. Et la COFACE qui a décidé de ne plus garantir les prêts contractés par la SNIM ? Des lanceurs d’alerte anonymes avaient pourtant attiré votre attention, en vous transmettant des informations fiables sur la situation. Au lieu de les exploiter, pour aider le gouvernement à redresser la barre ou dénoncer les pilleurs, on n’ose imaginer ce que vous en avez fait.
Ces ventres vides
Vous êtes ressortissante d’Espagne, un pays qui a connu la misère et la pauvreté, au cours de la première moitié du 20ème siècle et même avant. Pensez, un instant, à ces enfants mauritaniens qui dorment le ventre vide, parce que leur gouvernement a été incapable de répartir les immenses richesses du pays, entre tous ses citoyens, et qui n’ont pas droit aux soins ni à une éducation digne de ce nom. Vous ne péchez ni par incompétence ni mauvaise foi. Vous pouvez encore vous rattraper, à moins que vous ne vouliez voir nos enfants devenir ‘’the Children’’de la célèbre chanson visant à récolter des fonds pour l’Ethiopie.
Madame la représentante du FMI,
les avantages dont vous bénéficiez et les honneurs dont on vous entoure justifient-ils de fermer les yeux sur tous ces dépassements ? N’avez-vous pas tiré une leçon de la malheureuse expérience des faux chiffres de 2003 et 2004 que la Mauritanie communiquait à votre institution et que vos experts, censés bien formés, gobaient (incon)-sciemment ? Je n’arrive pas à imaginer que vous soyez, comme vos collègues, tombée dans le panneau, en prenant, pour argent comptant, les chiffres et tableaux qu’on vous communique, entre quatre murs ; sinon, entre la poire et le fromage.
Il est temps d’ouvrir les yeux ; de se rendre compte que les grands équilibres macro-économiques, dont le respect vous est un sacro-saint principe, ne veulent pas dire grand-chose, dans un pays comme le nôtre où l’informel est roi. Que signifie une croissance de 5, 6 ou 7% quand les salaires stagnent, les prix flambent, le chômage atteint des sommets, la pression fiscale, son comble, alors que les secteurs sociaux tombent à l’abandon ? Un simple constat aurait pourtant pu vous mettre la puce à l’oreille : qu’a fait l’Etat, des milliards de dollars engrangés, lors des années fastes pour le fer, l’or et le pétrole ? Détournés ou mal gérés, dans les deux cas, vous auriez dû vous alarmer. Si le gouvernement avait fait preuve d’un minimum de prévoyance, en pensant aux mauvais jours, il n’allait pas se retrouver dans d’aussi sales draps. Le choc que l’économie mauritanienne connaît actuellement, et que vous reconnaissez à demi-mots, allait, sans aucun doute, être moins violent. C’est à votre institution qu’incombait la responsabilité de ne pas laisser faire, de rappeler que « gouverner, c’est prévoir ».
A présent que vous héritez d’une situation que seule une hypothétique hausse des prix du fer pourrait atténuer, qu’envisagez-vous ? Proposer une dévaluation de l’ouguiya qu’on vous soupçonne d’encourager vivement, au risque d’entraîner une paupérisation encore plus poussée de la grande majorité, celle qui vit avec moins de deux dollars par jour, et creuser, un peu plus, le fossé entre riches et pauvres? Faire appel aux emprunts extérieurs, pour aider l’Etat à assumer ses charges ? Emettre des bons du Trésor, pour rentrer de l’argent frais ?
Une chose est certaine : votre responsabilité sera sérieusement engagée, en cas d’effondrement économique du pays. Vous aurez gagné, au moins, sur un point, en apportant de l’eau au moulin de ceux qui croient, dur comme fer, que les institutions de Bretton Woods sont loin d’être la panacée ; pas plus que leur programme d’ajustement structurel et autres, des remèdes-miracles, pour des économies mal en point dont les principaux fossoyeurs ne sont, paradoxalement, que ceux-là mêmes censés veiller à leur bonne tenue.
Et je vous dis tout cela, madame, sans aucune rancune. Mais si tristement, madame, si tristement…