Mauritanie, Haimout Ba: « Un référendum joué d’avance »

Le résultat du référendum est programmé d'avance alors que de milliers de mauritaniens à Nouakchott comme à l'intérieur du pays et à l'extérieur sont privés du droit de citoyenneté. Un entretien avec Haimout Ba, membre du parti d'opposition UFP

Mondafrique

Voici un entretien avec un juriste mauritanien et militant d’un des principaux partis d’opposition en Mauritanie l’UFP à la veille du scrutin Bâ Haimout maître de conférence associé à la faculté de droit à l’Université de Rouen est chargé également des relations internationales en Europe de l’UFP. Il s’est confié au journaliste et collaborateur de « Kassataya » pour dénoncer l’impasse juridique du référendum qui s’est tenu le 5août en Mauritanie et s’indigner du traitement des sénateurs à Nouakchott qu’il qualifie contraire à la constitution et au principe du respect de la dignité humaine.

Question : Nous sommes à quelques heures du scrutin en Mauritanie.Et si le Oui l’emportait quel est le regard du juriste sur ce résultat ?

HAIMOUT BA : Avant de répondre à votre question, permettez- moi d’abord de m’indigner contre la répression inacceptable des opposants au référendum qui manifestent pacifiquement et légalement, au mépris des droits et libertés d’opinion et d’expression garantis par la constitution.

J’ajoute que le résultat du référendum est programmé d’avance, les listes électorales étant préalablement maitrisées et contrôlées et les bureaux de vote présidés par les partisans du ‘’oui’’ nommés par la Commission Nationale indépendante ( CENI )’, alors qu’au même moment de milliers de mauritaniens de l’intérieur et de l’extérieur du pays sont privés du droit de citoyenneté et donc du droit de suffrage, en raison du refus systématique de l’Etat mauritanien de les admettre dans le processus du recensement en cours depuis 2011.

Même si le ‘oui l’emporte, ce référendum ne fait qu’enfoncer en peu plus la Mauritanie dans l’impasse pour plusieurs raisons : d’abord Le oui n’efface pas le vice d’inconstitutionnalité du référendum par ce qu’il ne porte au plus que sur les projets de révision et certainement pas sur la procédure de l’article 38, qui n’est d’ailleurs pas posée. Il ne peut donc pas valider à postériori une pratique inconstitutionnelle.

Ensuite,le Président ne peut par conséquent utiliser une deuxième fois cette procédure, sauf à violer encore la constitution, nonobstant l’opinion de ceux qui pourraient croire que le oui aurait créé une règle constitutionnelle coutumière. Or, même en droit constitutionnel on ne peut considérer que le cas précédent suffit à créer une coutume constitutionnelle, sans confondre volontairement le droit et la politique, la règle de droit et celle qui résulte des rapports de forces politiques, sans affaiblir le procédé spécifique d’élaboration de la règle de droit, fut-elle constitutionnelle, et rendre évanescent la portée juridique de la règle de droit en la faisant dépendre du phénomène politique. D’ailleurs en droit constitutionnel comparé, les partisans de cette thèse se sont vite ravisés.

Question :   juridiquement donc le résultat est illégitime ? Mais politiquement c’est une autre affaire.                                                                

HAIMOUT BA : L’inconstitutionnalité du référendum entraîne l’invalidation de son résultat ainsi que les actes subséquents, qui sont en droit des actes-condition. Les adversaires du référendum, en contestant à bon droit l’inconstitutionnalité de la procédure de l’article 38, ne se sentiront pas liés à son résultat. Dès lors, rien n’oblige juridiquement les sénateurs de continuer à se comporter en dignes représentants de la nation et dépositaires de la légitimité démocratique. Politiquement les sénateurs et l’ensemble des forces démocratiques doivent se mobiliser pacifiquement dans le respect de la légalité mais assez déterminés pour en finir avec le pouvoir despotique qui n’obéit qu’à ses caprices et ses intérêts et alerter la communauté internationale sur le chaos programmè par le régime lui-même.

Question : Les bâtiments du Sénat sont actuellement encerclés par la police et la gendarmerie qui refusent toute entrée et sortie.Que pensez-vous de ce dernier épisode du référendum qui focalise l’attention même de la communauté internationale?    

HAIMOUT BA : Le traitement fait aux sénateurs est une manifestation du mépris que le pouvoir a à l’égard de la nation et de ses représentants .C’est indigne et contraire à la constitution (article 50 ) et au principe du respect de la dignité de l’homme qu’elle proclame dans son préambule, même si elle précise que ce’’ respect de la dignité de l’homme ne peut être assuré que dans une société qui consacre la primauté du droit’’ et non celle de la force.

Puisque la force n’est pas le droit, et que l’allié le plus sur du despotisme est cette’’ puissance trompeuse’’ prompte à subvertir la raison… à prendre l’apparence des choses pour les choses elles- mêmes, nul ne doit se sentir obligé d’obéir qu’à un pouvoir légitime .

Propos recueillis par le journaliste Bakala Kane dit Yaya Chérif Kane