Militairement fragilisés et diplomatiquement vulnérables, les états de la région du Sahel et leurs alliés doivent engager une sortie de crise et pas la subir.
Une chronique d’Ahmedou Ould Abdallah, ancien ministre mauritanien des Affaires Etrangères et ex représentant de l’ONU en Somalie
Avec le changement de régime d’août dernier, la libération massive, fort couteuse et très médiatisée de plus de 200 djihadistes, suivie des négociations, quasi officielles, de Farabougou près de Ségou, entre radicaux et notables multiethniques, le conflit du Mali est en pleine mutation. Embrouillement général, lassitude, transformation du conflit, huit après l’intervention française pour sauver Bamako, une fraiche approche politico-militaire s’impose.
Avec ces développements politico sécuritaires et le climat régional morose, voire délétère, une nouvelle stratégie de sortie de crise, apparait inévitable pour le Mali comme pour ses alliés, proches ou lointains.
Conflits dans le conflit et dérives.
Plus un conflit interne, où opèrent des armées étrangères, dure et donc s’enlise et plus il conforte les rebellions et retrempe leur résilience. Forts de cette ‘’marche vers la victoire’’ leur stratégie vise alors les actions spectaculaires… contre les civils comme cela s’est vu en Afghanistan, en Somalie et au Yémen. Et comme la réception des 200 djihadistes libérés.
Lassées, les populations des zones affectées et bien d’autres réconfortent alors le camp des mécontents qui alimentent les rebellions.
Sept ans après le débarquement des soldats français, les manifestations populistes du Mouvement du 5 juin, l’embrouillement qui mena au coup d’état du 18 septembre et la libération médiatisée des terroristes ont revigoré les groupes djihadistes. Et, à leurs yeux, validé leur combat. Dorénavant, remporter la victoire, constitue l’objectif officiel.
Le champ de bataille, désormais plus politique, est la conquête de l’opinion nationale, précisément celle de la capitale. Les armes seront de plus en plus destinées à l’intimidation des populations civiles. La médiatisation des images de la riche réception donnée en l’honneur des djihadistes, libérés en échange de quatre otages, en dit long sur cette ambition. Et sur la puissance, au moins médiatique, de l’organisation que dirige Iyad Ag Ghali.
Le conflit malien, longtemps une guerre inter ethnique, et qui en partie le demeure encore, devient aussi et, de plus en plus, une guerre nationale. Précisément comme celles déjà citées d’Afghanistan, de Somalie et du Yémen
Face à une situation plus emmêlée et aggravée par les conséquences économiques du Covid 19, que doivent faire les forces présentes au Sahel : armées nationales, le G 5 Sahel, la Minusma des Nations Unies et Barkhane ?
Les nouvelles autorités maliennes méritent les soutiens militaires et diplomatiques régionaux et internationaux pour le succès de la Transition. Dans ce contexte, deux voies s’offrent pour éviter au Mali et au Sahel une catastrophe annoncée et préparer la sortie honorable des troupes étrangères tout en revigorant le G 5 Sahel pour consolider la stabilité de ses membres.
Une sortie de crise maitrisée.
Initialement circonscrit au nord, le conflit qui a éclaté en décembre 2011 s’est depuis étendu à d’autres zones du pays et s’enracine dans le centre. Sur le terrain, les forces internationales continuent de prouver leur capacité, sauvant des vies et l’intégrité des états.
Aujourd’hui, huit ans après, les troupes nationales sont exsangues, la population n’est pas en reste et les partenaires étrangers, civils et militaires, ne peuvent qu’être affectés par la routine voire atteints de scepticisme.
Aux parties nationales et étrangères, la Transition, en place depuis le 18 aout, offre l’occasion de mettre en œuvre une sortie de crise honorable où, pour le moins, maitrisée. Au-delà de leurs divergences sur divers sujets régionaux, une Transition réussie et l’exécution des Accords d’Alger devraient être les objectifs des principaux partenaires du Sahel. Ainsi revigorée, la coopération en matière de sécurité régionale pourrait reprendre.
Renforcer et élargir le G 5 Sahel.
Le processus d’un retour à la sécurité au Mali libérera de vastes ressources nationales et internationales pour les populations et les économies. En tout premier lieu, il facilitera le retour des réfugiés et des déplacés et la relance des échanges transfrontaliers.
L’espoir de voir les frontières septentrionales et méridionales de la région cesser d’être de dangereuses zones de non droit demeure vivace.
A cet effet, le renforcement du secrétariat du G 5 Sahel avec son élargissement à quatre pays – Algérie, Cote d’Ivoire, Maroc et Sénégal – pourrait s’avérer utile et nécessaire. Naturellement, il faudrait espérer que les futurs états membres soutiendront l’organisation qui les accueille.
Et en particulier, la Mauritanie, siège du G 5 Sahel. Le blocage armé, imposé depuis un mois à sa frontière nord, un couloir de passage de biens et de personnes entre l’Afrique de l’ouest et l’Europe, ne manquera pas de profiter aux groupes terroristes du Sahel en détournant l’attention et les ressources loin du front chaud, coté Mali. Sa levée s’impose.
Avec cette évolution du G 5 Sahel, un effet d’imitation devrait se manifester. Non seulement pour dissuader des candidats au radicalisme dans le Sahel mais pour produire un effet d’entrainement autour du lac Tchad où Boko Haram et d’autres groupes armés non identifiés mènent des actions meurtrières.
In fine, mettant fin à ses fragilités diplomatiques et vulnérabilités militaires, le Sahel, pourrait alors se consacrer davantage aux conséquences non encore recensées du Covid 19 et aux nombreux autres handicaps de la région.