Malek El Khoury: « la seule issue à Gaza est la négociation »

Cette nouvelle guerre de Gaza, d’une brutalité rare, semble déboucher sur une impasse. Le transfert des Palestiniens est impossible. Populations déplacées. Destructions massives de l’infrastructure (bâtiments, écoles, hôpitaux, lieux de prière – églises et mosquées – boulangeries, etc.). Elimination de Hamas difficile, voire impossible. Israël fortement ébranlé. Et ainsi de suite. Le militaire ne résoudra rien, ne peut rien résoudre. Au contraire, la situation déjà bien complexe ne peut qu’empirer. Et, surtout elle risque de générer une haine que l’on espère réversible, du moins parmi les populations au-delà des intérêts des dirigeants.

Une chronique de Malek El Khoury (Beyrouth)

La seule issue possible est la négociation. Avec qui, entre qui et qui ? Quel sera l’agenda ? Qui sera convié à cette table ? Certainement beaucoup de monde. Il ne s’agira certainement pas d’un joyeux festin. La nourriture sera difficile à digérer.

En fait il y a deux niveaux de négociations. L’un est imminent, arrêter cette guerre le plus rapidement possible et trouver un cessez-le-feu qui durera le temps qu’il durera, quelques mois, quelques années. Peu importe. Il faut arrêter ce carnage et sauver les civils. L’autre niveau, plus lointain, est de trouver une solution à long terme, viable et acceptable par les diverses factions.

Le premier niveau est, si la volonté existe de part et d’autre (ce qui ne semble malheureusement pas être le cas en ce moment), relativement simple à atteindre. Le second est beaucoup plus difficile, et demandera plus que de la bonne volonté.

Prenons le premier niveau. Je pense que l’agenda est – relativement – simple : (1) cessez-le-feu immédiat ; (2) aide humanitaire à Gaza ; (3) échange de prisonniers ; (4) [le plus important] débuter la discussion sur la solution impossible des 2 Etats (pour montrer la bonne volonté).

Evidemment ces titres vont déborder sur plein d’autres sujets. L’autre élément, plus délicat, est avec qui discuter ? Normalement les deux partenaires devraient être Israël et l’Autorité Palestinienne. Or aucun des représentants de ces deux autorités n’est plus ni représentatif, ni accepté par les populations qu’ils sont supposés diriger. Je parle de Netanyahou et de Mahmoud Abbas.

Pour au moins permettre à ces deux « ennemis » de discuter calmement autour d’une table, il faudrait un arbitre, qui soit aussi un modérateur, pour éviter les dérives des discussions et de tourner en rond. Ainsi que des partenaires, avec de l’influence sur les parties en conflit, susceptibles de faire pression ou d’influer sur ces derniers, puis d’assurer ou de procurer des garanties de l’application des accords.

Ainsi donc, avant même de commencer les négociations, les préparatifs sont déjà assez problématiques et compliqués : (a) l’agenda ; (b) les partenaires à table ; (c) l’arbitre/modérateur ; (d) les parties garantes.

Tous ces éléments sont, pour celles et ceux qui sont habitués à des négociations, des vérités de la Palisse. Mais il est bon de le rappeler pour montrer les complications et le temps que cela prend pour résoudre ces quelques préparatifs.

Or déjà les deux premiers points de l’agenda semblent déjà difficiles à atteindre (cessez-le-feu et aide humanitaire). La volonté n’existe pas, malgré les efforts internationaux, malgré les demandes des populations (immenses manifestations, y compris aux USA et en Israël) dans le monde entier pour y arriver. Mais d’autres obstacles restent à surmonter :

A – Comment discuter avec Abbas alors que le problème réside avec Hamas, qui n’est même pas membre de l’OLP ? Qui sera l’intermédiaire fiable pour négocier : Qatar, l’Egypte, la Chine, la Russie ? Il faut de la crédibilité et du poids pour négocier avec l’Iran ;

B – Comment aboutir à un cessez-le-feu immédiat sans faire perdre la face à Netanyahou (dont la « popularité » a sensiblement baissé) ? Le changera-t-on ? Comment ? En Israël, il faut des élections qui prennent du temps ? L’évincera-t-on d’une manière ou d’une autre ? Ou attendra-t-on un « succès » militaire israélien, même minime, pour commencer les négociations et discuter de l’arrêt des combats, comme au Liban en 2006 ?

C – Qui sera l’arbitre-modérateur ? Est-ce le même que le partenaire choisi en (A) ? ou un autre ? Les USA, l’ONU, l’Europe, Qatar, l’Egypte ?

D – Hamas aurait un agenda légèrement différent. Voici, à mon avis, les objectifs non déclarés de ce groupe :

  • Cessez-le-feu immédiat ;
  • Négocier un échange de prisonniers ;
  • Lever le blocus sur Gaza et peut-être récupérer une partie au moins des revenus du gaz en mer de Gaza ;
  • Mettre un frein, voire une fin au processus de normalisation entre l’AS et Israël ;
  • « Evincer » Mahmoud Abbas pour devenir la principale composante de l’OLP ;
  • Secouer le statu quo et aboutir à des négociations, à partir de la solution invivable et utopique des 2 Etats ;
  • Donner une carte supplémentaire à l’Iran dans ses négociations autant avec les USA qu’avec l’AS ;

 

E – Va-t-on prendre en considération l’agenda souhaité de Hamas ? Les succès militaires incontestables – mais relatifs (Hamas n’aurait jamais dû tuer des civils) – de Hamas, la déroute des services de renseignements israéliens, la panique des israéliens, la forte augmentation de l’émigration d’Israël (pour certains définitive) vont élever la barre des négociations, afin que les concessions restent « acceptables » ;

F – Quels seraient les autres acteurs à inviter dans les coulisses ? Les Américains, évidemment, les Européens, les Anglais, les Turcs, les Iraniens, les Egyptiens, les Qataris, les Saoudiens, les Emiratis, les Jordaniens, les Palestiniens, les Russes, les Chinois, etc. Chacun d’eux avec leurs sous-fifres ou leur proxy ? Va-t-on accepter d’inviter les Iraniens, les Russes, les Chinois à ces négociations ?

G – La solution des 2 états presque impossible à réaliser (que faire avec les 800’000 colons, comment constituer un état morcelé – voir carte annexée des zones encore palestiniennes en Cisjordanie ?) – mais devrait servir pour devenir le point de départ d’une longue négociation.

Ainsi on constate que les problèmes sont encore innombrables et immenses. Au minimum, la volonté de négocier doit être présente. Ceci ne semble pas encore être le cas. Sans cela rien n’aboutira qu’à de nouvelles barbaries et de nouvelles violences.

L’Histoire nous montre que la brutalité seule n’a jamais résolu aucun problème. Seules les négociations ont abouti à mettre un terme à des conflits, même longs (Guerres de 100 ans, 30 ans, WW1 et WW2, etc.). Tuer et détruire n’est pas difficile quand on possède une supériorité militaire considérable sur l’ennemi. Mais toutes les forces du monde n’arrivent jamais à bout de la volonté d’un peuple, d’un droit d’un peuple à la survie, d’une idéologie. Les USA, malgré toute leur puissance, n’ont pas pu vaincre ni les Talibans ni les Vietnamiens, pourtant largement sous-équipés militairement mais armés de leur volonté de survie et d’une idéologie stimulante. (A suivre).

Beyrouth le 22.10.23