L’ivresse du pouvoir fabrique des demi-dieux en Afrique

L’exercice du pouvoir prend parfois en Afrique des tournures iconoclastes, du Cameroun où Paul Biya cherche à 92 ans à succéder à lui-même, après avoir dirigé son pays pendant 42 ans, au Tchad où Mahamat Deby s’est fait bombarder maréchal comme son père auquel il a succédé par la force, en passant par la Guinée où le lieutenant-colonel Mamadi Doumbouya a été propulsé au grade de général de corps d’armée sans autre fait d’arme que celui d’avoir perpétré un coup d’Etat en septembre 2021. Dans cette remarquable Chronique, le journaliste et écrivain ivoirien Venance Konan, grand prix de littérature d’Afrique noire en 2012, explore, sur un ton détaché, humoristique et agréable à lire les facettes du pouvoir en Afrique, en précisant que, comme l’Américain Donald Trump, certains dirigeants africains sont en fait des demi-dieux.

Par Venance Konan. 

Il est arrivé, le nouvel homme fort que tout le monde attendait aux Etats Unis, ce pays où on ne sait plus qui est homme ou femme. Il est arrivé, Trump ! Un garçon pile, comme on dit du côté d’Abidjan. Il dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit. Que les transgenres et trans-machins dégagent de l’armée ! L’armée américaine, c’est une histoire de garçons piles. Il avait aussi dit qu’il ne voulait plus d’immigrés illégaux dans son pays, surtout les Haïtiens qui mangent les chiens et les chats de braves Américains. Il les a mis dans des avions et les a renvoyés chez eux. Il y a aussi des chiens et des chats dans leur pays. Qu’ils aillent les manger. Les autres, il les envoie à Guantanamo.

Biya vaut 100 professeurs d’université

Il est en train de mettre aussi le monde entier au pas. Surtout les Européens à qui il a dit de se débrouiller désormais pour assurer leur sécurité. Il a dit qu’il veut le canal de Panama. Il l’aura. Il a aussi dit qu’il veut le Groenland, le Canada et la bande de Gaza pour en faire une sorte de club Méditerranée. Il les aura. Il est fort, Trump. Les Gazaouis ne seront peut-être pas contents, mais de toutes les façons ils ne seront plus là pour protester.

On ne parle que de Trump depuis quelque temps, et l’on oublie qu’il n’est pas le seul homme fort dans ce bas monde. Eh oui ! l’Afrique en compte beaucoup qui sont infiniment plus forts que le président américain. Ainsi, j’ai lu à la « une » d’un journal camerounais ce titre : « A 92 ans, Paul Biya réfléchit comme 100 professeurs d’université. » Trump, aussi puissant qu’il est, peut-il se comparer à cet homme ? Lui Trump, il a besoin qu’un Elon Musk lui souffle ce qu’il doit dire. Pas Biya. Et puis, dans quatre ans, Trump sera obligé de débarrasser le plancher. Paul Biya, lui, il est là depuis plus de quarante ans et il y a des chances qu’il soit encore là. Normal pour un homme qui à 92 ans réfléchit comme 100 professeurs d’université. Bien sûr, des esprits chagrins se demanderont comment le Cameroun peut être dans cet état avec un tel génie à sa tête. Non, il ne faut pas voir les choses de cette façon. Il faut se dire plutôt qu’heureusement que Paul Biya était là. Sinon, la situation aurait été pire. Sans son intelligence et sa longévité au pouvoir, le Cameroun serait une vulgaire république cacaoyère ou makossa, où la guerre civile ne serait pas cantonnée à l’ouest du pays, mais partout, où la pauvreté ne toucherait pas qu’une partie de la population, mais TOUTE la population. Donc les chefs traditionnels camerounais et de nombreux autres Camerounais veulent que Paul Biya mette encore son cerveau supersonique au service de son pays et ils ont raison.

Les Deby, maréchal de père en fils

A côté du Cameroun, il y a le Tchad. Ce pays est dirigé par Mahamat Idriss Déby Itno, âgé de 41 ans en avril prochain et élevé à la dignité de maréchal le 9 décembre dernier. Son père, Idriss Déby Itno était le président du Tchad et avait lui aussi élevé à la dignité de maréchal peu avant qu’il ne soit trucidé sur le champ de bataille. Eh non, le bâton de maréchal ne protège pas des balles. Mahamat Idriss Déby Itno, disons Déby Junior, pour simplifier les choses, a pris la tête d’un conseil militaire de transition à la mort de son père, a court-circuité la constitution, et est devenu président. En langage plus clair, il a fait un coup d’Etat pour s’imposer et il a réprimé dans le sang ceux qui voulaient le contester, comme on fait dans tous les coups d’Etat qui se respectent. Quels sont les hauts faits d’armes qui justifient son élévation à la dignité de maréchal ? Il est le président, et c’est déjà ça. Cela justifie qu’il ait le grade le plus élevé dans l’armée.

Mamadi Doumbouya, le général d’opérette

En Guinée Conakry et au Mali, les galonnés qui ont pris le pouvoir se sont tous bombardés généraux. C’était avant que Déby Junior ne soit devenu maréchal. Il vient de leur montrer jusqu’où on peut aller lorsqu’on a le pouvoir, et surtout les fusils. Ne soyez donc pas étonnés que les généraux guinéens et maliens se bombardent bientôt maréchaux. Nos militaires, lorsqu’ils accèdent au pouvoir connaissent une accélération fulgurante dans l’évolution de leurs carrières militaires. Eyadema était un sous-lieutenant dans l’armée française, il est devenu général lorsqu’il a pris le pouvoir. Pareil pour Samuel Doe du Liberia qui est passé de sergent-chef à général en un rien de temps, et Mobutu qui a fini maréchal, etc.

Il n’y a pas de quoi s’étonner. Nos chefs deviennent très intelligents dès qu’ils accèdent au pouvoir. Ils réfléchissent alors comme cent professeurs d’université, même à 92 ans, maitrisent tout l’art de la guerre en un temps record au point de devenir des maréchaux. Bien sûr, être maréchal n’empêche pas de mourir sur un champ de bataille, mais il s’agit là d’un regrettable accident qui ne saurait empêcher un fils de maréchal de devenir lui aussi maréchal. Ça se transmet aussi par le sang. Quand on est chef en Afrique, on devient automatiquement un demi-dieu. Alors, vivent nos demi-dieux.

Venance Konan