« Invité comme écouteur muet à un séminaire en ligne sur un thème choisi (« L’Iran peut-il aider l’Europe à passer un hiver plus chaud ? »), je m’étais surpris à rêver. Je ne me souviens plus lequel du conférencier ou du modérateur, qui est un de mes amis, ou d’un autre invité (un dinosaure, dixit) nous avait transportés en 1908, dans la Perse où les Anglais trouvèrent les premières traces de Pétrole. Mon esprit voyageur allait indistinctement à toute allure de l’ouvrage éponyme d’Hergé (L’Or Noir) à la fable de La Fontaine (Le Rat et l’Huître), dont les vers formaient avec grâce la trame d’une fresque à épisodes : comme un derviche tourneur, j’étais habité d’irrépressibles sensations et de visions ».
Une chronique de Xavier Houzel
Un Rat hôte d’un champ, Rat de peu de cervelle,
Des Lares[i] paternels un jour se trouva soû[ii].
Il laisse là le champ, le grain, et la javelle[iii],
Va courir le pays, abandonne son trou.
L’Anglo-Persian Oil Co. venait de naître, avant la Grande Guerre et la révolution bolchévique. Notez bien qu’une autre société de portefeuille britannique avait obtenu du roi Abdelaziz Al Saoud la permission d’explorer le désert d’Arabie, mais qu’elle n’avait pas fait usage de ce droit et avait perdu sa concession.
………..Sitôt qu’il fut hors de la case,
Que le monde, dit-il, est grand et spacieux !
Voilà les Apennins, et voici le Caucase :
La moindre taupinée[iv] était mont à ses yeux.
La Standard Oil of California (compagnie américaine créée par John Davison Rockefeller) avait obtenu du roi les droits exclusifs de prospection et d’exploitation du Pétrole de la région Est de la péninsule.
Au bout de quelques jours le voyageur arrive
En un certain canton où Thétys[v] sur la rive
Avait laissé mainte Huître ; et notre Rat d’abord
Crut voir en les voyant des vaisseaux de haut bord.
Le 14 février 1945, le président Roosevelt et le roi ibn Saoud signent le Pacte du Quincy à bord du croiseur du même nom.
Certes, dit-il, mon père était un pauvre sire :
Il n’osait voyager, craintif au dernier point :
Pour moi, j’ai déjà vu le maritime empire :
J’ai passé les déserts, mais nous n’y bûmes point.
Le « Rat d’abord » est un rat yankee et « Monroe » est sa Doctrine, mais le sire et le maritime empire sont bien anglais.
D’un certain magister[vi] le Rat tenait ces choses,
Et les disait à travers champs ;
N’étant pas de ces Rats qui les livres rongeants
Se font savants jusques aux dents.
L’Ordre est américain. La Chine dort encore, ou bien elle met un temps fou à s’ébrouer. Ces années sont horribilissimes, ponctuées de deux guerres mondiales ; elles voient défiler Staline, Hitler, Pearl Harbour, la Shoah, Stalingrad, Hiroshima, le Viet Nam, Cuba, la Révolution Islamique (et ses otages), l’Afghanistan, l’Irak et Guantanamo. Le mur de Berlin a fini par tomber ; l’Irak, la Libye, la Syrie, le Soudan, le Yémen sont en ruines, ravagés (le Pétrole dégouline de leurs veines). Daech relance le Jihad. L’Arabie saoudite est flasque comme une outre lascive ! Taïwan est plus radioactive que l’Ukraine Tout cela, sur la durée d’un siècle seulement, est unique.
Parmi tant d’Huîtres toutes closes,
Une s’était ouverte, et bâillant au soleil,
Par un doux zéphir réjouie,
Humait l’air, respirait, était épanouie,
« Blanche, grasse, et d’un goût, à la voir, nonpareil. »
Je crois, de prime abord, qu’il s’agit de l’Ukraine, de l’Ukraine offerte comme une conque… tout concorde…
D’aussi loin que le Rat voit cette Huître qui bâille :
Qu’aperçois-je ? dit-il, c’est quelque victuaille ;
Et, si je ne me trompe à la couleur du mets,
Je dois faire aujourd’hui bonne chère, ou jamais.
Mais NON, c’est une Huître nomade sans tête ni jambe comme il se doit, mais avec un pied à Shiraz ! Jamais on ne vit dans un songe un maître Rat (assisté d’Israël, pourtant un plus petit que soi) s’y prendre aussi mal avec autant d’ignorance et d’avidité !
Là-dessus maître Rat plein de belle espérance,
Approche de l’écaille, allonge un peu le cou,
Se sent pris comme aux lacs[vii] ; car l’Huître tout d’un coup
Se referme, et voilà ce que fait l’ignorance.
La morale de cette histoire est une belle leçon de géopolitique :
Cette fable contient plus d’un enseignement.
Nous y voyons premièrement :
Que ceux qui n’ont du monde aucune expérience
Sont aux moindres objets frappés d’étonnement :
Et puis nous y pouvons apprendre,
Que tel est pris qui croyait prendre.
N’allez pas me dire que l’Amérique se serait fait gober comme un Rat par une Huître ? Par une huître persane de surcroît. Eh bien, Si ! Il ne faut pas en faire un drame. Au fur et à mesure que l’expert en Gaz et en Pétrole explique à grand renfort de chiffres et de bonnes raisons pourquoi l’Iran ne pourrait pas aider l’Europe à passer l’hiver, je réalise beaucoup de choses.
L’Iran, ici le mollusque au jus gouleyant de la fable, est envié (jalousé, convoité, harcelé) pour son gaz naturel (en réalité les plus importantes réserves du monde) et pour son pétrole (Brut et condensats), dont les réserves occupent le quatrième rang mondial après le Venezuela (300 milliards de barils mais d’un hydrocarbure horriblement lourd et polluant), l’Arabie saoudite (en proie à de nouveaux démons) et l’Irak (où l’Iran n’est pas sans influence). De quoi l’Iran pourrait-il désormais se plaindre ?
Grâce aux Américains, à leurs guerres, à leurs sanctions, les réserves d’hydrocarbure du pays sont pratiquement intactes. En quarante ans, la production de Pétrole du pays a diminué de plus de 6 millions de barils de Brut par jour qu’elle avait atteints à 2,5 millions b/j à peine en 2021, quand celle de l’Arabie voisine plafonne à 11 millions de b/j pour profiter des prix actuels. Il en est résulté qu’une autre fable, celle de « La Cigale et la Fourmi » (1ère fable du Livre I) pourrait s’appliquer aux deux larrons à l’avantage de l’Iran. La Cigale saoudienne a traîtreusement rejoint l’Ours Russe dans « l’OPEP Plus » (syndicat transformé en gang anti Rat d’abord) ; elle admet qu’elle ne pourra pas maintenir plus longtemps le niveau de son actuelle production.
S’agissant de Gaz naturel, l’Iran n’a jamais eu accès ni aux technologies de liquéfaction du méthane ni au financement des travaux qu’il envisageait pour exporter son Gaz sous forme de Gaz Naturel Liquéfié (GNL), ce qui fait que, « quand la bise sera venue », pas un seul terminal, pas un seul méthanier ne pourront matériellement charger ou transporter de Gaz iranien vers l’Europe. Téhéran ne répond pas ! Le Gazoduc Nabucco n’a jamais vu le jour. En revanche, l’Iran fournit à satiété du Gaz mais alors par gazoduc à ses voisins irakiens, turcs ou (demain) pakistanais, de même que de l’électricité par câble ; et le pays produit sur place et peut ainsi vendre autant d’Urée (engrais) que les agriculteurs européens pourront lui acheter ! Pourquoi ne pas profiter de la valeur ajoutée correspondante plutôt que de brader la matière première sous forme brute d’énergie ? L’Iran doit cette position somme toute enviable au diktat américain. Quelle chance immense que de ne pas avoir gaspillé pendant un demi-siècle autant de richesses au prix de vente de 3$ le baril (au lieu des cent Dollars du jour) ! Merci aux Israéliens et aux non moins sympathiques (et candides) dirigeants américains !
Les voisins de l’Iran – le Qatar, l’Azerbaïdjan, la Turquie et le Turkménistan – partagent avec l’Iran d’importants gisements de Gaz. Rien n’empêchera non plus de tels voisins – pour certains déjà pourvus des installations nécessaires – de mutualiser leurs infrastructures avec l’Iran. Mais cela n’est encore RIEN ! L’Iran se prépare à changer son Gaz en Hydrogène ; à produire plus d’électricité et à se connecter au reste du monde par ordinateur quantique, 5G, drones et autres outils des technologies du futur. À l’inverse de l’Arabie saoudite, l’Iran a grandement diversifié son économie. Merci aux sanctions américaines (et à celles du président Sarkozy et de l’ancien PM britannique Gordon Brown), qui nous poussent à économiser l’hydrocarbure que, dans trente ans, nous aurons épuisé.
Rira bien qui rira le dernier ! Non, ce n’est pas drôle… Avant que les coqs n’aient chanté trois fois au diapason commun de Kiev et de Moscou, l’Iran acceptera de réintégrer les États-Unis d’Amérique dans l’Accord de Vienne sur le Nucléaire (en Anglais « Joint Comprehensive Plan of Action », JCPOA). Cela favorisera la Paix dans la région, de même que l’amitié franco-iranienne malheureusement mise à mal pour une même affaire de (ravissants) voiles féminins d’une part et de (fausses) cagoules de rats-taupes (dites barbouzes) d’autre part, un même sujet dont Jean de La Fontaine, en d’autres temps, aurait tiré un fabliau.
[i] Dieux de la maison
[ii] se dit aussi de ce qui rassasie l’esprit
[iii] tas d’épis laissés sur le sol, qu’on laisse sécher avant d’en faire des bottes
[iv] butte de terre laissée par les taupes
[v] Déesse de la mer
[vi] maître d’école de village
[vii] piège en lacet, nœuds coulants pour prendre oiseaux, lièvres ou autres gibiers