Mosesy Herininahary: « l’impasse » de l’aide au développement à Madagascar!


Pendant des décennies, les pays riches ont inondé l’Afrique de milliards d’euros d’aide publique au développement. Ils ont construit des écoles, des routes, des plans d’urgence, souvent avec sincérité. Mais au fond, les résultats sont minces. La pauvreté reste, la croissance ne suit pas, et les États restent dépendants.
Mosesy HERININAHARY
Président – Association Observatoire de la Vie Publique de Madagascar (AOVPM)
aovpm31@gmail.com
 

A Madagascar, où j’observe cette mécanique de près, les projets de l’Agence française de développement (AFD), de la Banque européenne d’investissement (BEI), et de la Banque mondiale (BM) illustrent cette impasse. Les agences de développement, car il s’agit d’elles, ont été créées pour prêter aux pays en développement, à l’instar de l’AFD créée par de Gaulle en 1941 et financé par l’Etat français qui emprunte à taux bas sur les marché.

L’AFD construit un collège au Gabon, répare un pont au Cameroun, creuse un puits dans un village malien, tandis qu’elle soutient une campagne contre les violences faites aux femmes au Niger.

Autre pays, autres schémas où les décisions politiques ont établi une division du travail : à Lilongwe la capitale du Malawi, la Grande-Bretagne finance des écoles, le Japon soutient des projets énergétiques, l’Europe soutient l’agriculture, et l’Irlande nourrit une industrie artisanale de militants pour la justice.

Sortons nos chiffres, les pays riches en 2024 ont dépensé 256 milliards de dollars US (éq. 0.4% de PIB) en aide étrangère, l’AFD a engagé 12 milliards d’euros en 2020 sous forme de prêts et de dons essentiellement en Afrique. Les trois institutions citées réunies ont mis sur la table plus de 500 millions d’euros depuis 2011 au bénéfice de la Commune Urbaine d’Antananarivo pour financer des projets axés sur les services urbains de base (assainissement, accès à l’eau potable, lutte contre les inondations) et le développement urbain.

Un rapport bénéfice-coût faible.



En 2024, sur la décennie passée, les 78 économies les plus faibles du monde ont connu une croissance plus lente qu’au cours de la décennie précédant 1970, époque à laquelle l’aide internationale a fait son apparition. Des analyses rétrospectives de la BM et du Fonds monétaire international (FMI) sont parvenu à la conclusion qu’aucun pays n’a réellement connu de croissance grâce à l’aide.

Selon des études faites par des chercheurs universitaires européens et américains, les aides aux systèmes de santé, au volet social, à l’éducation primaire, ou encore au développement des compétences des locaux, qui ont connus de réels succès, dans les faits n’ont pas stimulé ni la production, ni la croissance économique des pays destinataires.

Voire, des effets de bord, indésirables et non prévus sont même constatés, les aides affaiblissent plutôt que renforcent la capacité des pays bénéficiaires à fournir des services publics, et qu’une augmentation des dépenses de développement tend à entraîner une baisse des impôts, ainsi des rentrées fiscales.

La caractéristique de ces projets en échec sont qu’ils sont centralisés, confiés à des technostructures autochtones éloignées du terrain, qu’ils nourrissent une coopération verticale, parfois déconnectée, et au bénéfice limité.

Par causalité, les principales plaies les ayants voué à l’échec sont la bureaucratie de l’aide et le souci des dirigeants nationaux des pays bénéficiaires à se maintenir au pouvoir.

Des bureaucraties entières dédiées à la planification, la sécurisation et à la documentation de l’aide ont été créées. Les responsables occidentaux de l’aide cherchent sans le vouloir à transformer les pays pauvres en économies dirigées miniatures, tant les conditionnalités de versement ont un air de dirigisme, il faut empêcher à juste titre aux dirigeants locaux de tirer à eux les bénéfices de l’aide.

Nombre des politiciens locaux comptent effectivement sur l’aide pour financer leurs propres industries et projets, maintenir leurs réserves de change et améliorer ainsi le niveau de vie. N’a-t-on pas attendu quatre ans pour que les autorisations sortent sur le projet PIC 3, Pôles Intégrés de Croissance et Corridors de Madagascar ?

Ils vont jusqu’à jongler entre collaborer avec les donateurs pour maintenir les aides et esquiver les réformes difficiles qu’ils souhaitent pour ne pas contrarier la population et ainsi rester en poste.

La perpétuation d’un rapport inégal.

Une enquête montre dans le cadre des aides pourvues par l’AFD entre 2015-2019 que 320 sur 495 marchés de travaux ou de services ont été remportés par des sociétés domiciliés en France, dont principalement dans les secteurs de l’énergie et du BTP.

Dans le cas de Madagascar, il y a une asymétrie dans la coopération car l’élite politique malgache dépend du bailleur français. Il y a un manque de prise en compte des priorités locales car les projets sont imposés d’en haut. Ces contrats de marchés, il y a promotion de partenariats public-privé coûteux et peu transparents, des conditionnalités implicites qui éloignent les projets des besoins locaux.

Citons le projet de téléphérique à Antananarivo, il est évalué à environ 152 millions d’euros et financé en partie par des prêts français, le coût est disproportionné au regard d’une accessibilité limité pour la majorité des habitants, et d’un impact patrimonial non négligeable, sans parler du manque de consultation des habitants et des associations locales, non impliqués dans le processus décisionnel.

En conclusion, aucune nation n’est devenue riche grâce à l’aide. Pire, l’aide entretient des bureaucraties opaques, décourage l’innovation locale et finit par servir les intérêts de ceux qui la distribuent.

Il est temps de changer de modèle. De passer d’une logique de financement à une logique de partenariat. De faire confiance aux structures citoyennes, aux innovateurs locaux, aux autorités de proximité. Il ne s’agit pas d’abandonner l’aide, mais de la réinventer, radicalement.

Nous assistons à la fin d’un paradigme naïf, remplacé par un réalisme dur, l’aide n’est plus pensée comme un levier pour réduire la pauvreté mais comme un outil d’influence, et de contrôle.

Les agences de développement incarnent ainsi un modèle de coopération verticale bien financée, mais souvent déconnectée des dynamiques citoyennes et de l’innovation locale. Cela révèle l’usure profonde du paradigme de l’aide au développement classique.

Nous entrons dans une ère où la légitimité de l’aide est questionnée, tant du côté des bailleurs (sur son utilité) que des bénéficiaires (sur ses effets pervers). Où les projets réussis sont ceux qui émergent d’un ancrage local fort, d’un écosystème entrepreneurial endogène ou d’alliances hybrides. Et où les pays du Sud veulent passer du statut de “récepteurs” à celui de “codécideurs”, voire d’investisseurs.

De l’aide, oui, mais qui la définit ? à quelles conditions ? et pour qui agit-elle réellement ? Madagascar n’a pas besoin de sauveurs. Elle a besoin d’alliés lucides. Notre organisation peut jouer un rôle-clé de relais stratégique entre vision citoyenne, gouvernance locale, et bailleurs internationaux en recherche de nouveau modèle.