Dans un souci de pluralisme et bien que l’analyse de Gérard Vespierre ne corresponde en rien à la ligne éditoriale de Mondafrique, nous publions la libre opinion de ce chercheur associé à la Fondation d’Etudes pour le Moyen-Orient (FEMO).
Les médias internationaux ont abondamment couvert l’avancée des forces du Maréchal Khalifa Haftar, appuyées par leurs soutiens internationaux, dans leur mouvement vers Tripoli. Mais un autre aspect central de l’actuel imbroglio libyen a été peu traité, à savoir le rôle joué par les milices extrémistes, dans la capitale Tripoli et à l’ouest du pays.
L’offensive lancée le 4 Avril par Haftar et son auto proclamée Armée Nationale Libre (ANL) sur Tripoli a mobilisé une alliance très hétérogène de milices, venues porter secours au Premier Ministre Fayez el-Sarraj, reconnu par la communauté internationale. Depuis quelques années maintenant, ces factions de tous bords jouent un rôle administratif et sécuritaire prééminent dans l’Ouest Libyen. Une sorte d’alliance tacite avec el-Sarraj, qui a besoin de ces groupes armés pour assurer sa sécurité, leur a permis de se positionner comme des partenaires légitimes du pouvoir en place.
Le problème, c’est que nombre de ces milices se sont tristement illustrées par leur rôle central dans l’organisation du transit et du trafic, de dizaines de milliers de migrants, tentant de franchir la Méditerranée. Un de leurs responsables, Ahmed al-Dabbashi, s’y est rendu affreusement célèbre. Il est désormais sous le coup des sanctions du Trésor américain. Aussi, ce groupe hétérogène de milices comprend-t-il « les forces spéciales de dissuasion » dont les prisons ont été qualifiées de « tanières de torture » par la Jamestown Foundation.
Des milices incontrôlées
De facto, les milices, opèrent en dehors de l’autorité et du contrôle du gouvernement reconnu et soutenu par l’ONU. Elles sont appuyées par leurs propres commanditaires internationaux, spécifiquement le Qatar et la Turquie.
Dans le cas du Qatar, selon Reuters, ce soutien s’est matérialisé par la fourniture directe d’armes. Mais le soutien qatari ne se limite pas à la fourniture d’armement. Entre 2011 et 2017, on estime que l’aide financière apportée par Doha à ces groupes a dépassé 750 millions d’euros.
En ce qui concerne la Turquie, elle s’est aussi illustrée par la livraison d’armes selon Reuters, et même de tramadol, ce fameux opioïde utilisé comme un stimulant et souvent administré aux djihadistes africains ou moyen-orientaux. Il arrive régulièrement que des navires turcs soient aperçus au large des cotes libyennes.
Ces soutiens, ainsi que les actions des milices sur le terrain, rendent encore plus difficile la vie quotidienne des libyens dans l’ouest du pays. Tout ceci sape encore davantage les efforts de former un État central cohérent, et met en danger la sécurité régionale.
La Libye a d’énormes tâches à accomplir pour réparer les fractures et l’instabilité provoquées par des années de guerre civile. Le financement accordé par le Qatar et la Turquie à des groupes islamistes et des milices rend ce processus encore plus difficile.