Dans sa lettre ouverte au président sénégalais qui vient de déclarer qu’ « avec la colonisation française, nous avons eu des choses positives », notre ami Yaya Sy, anthropologue et historien, rappelle quelques vérités premières. Voici le premier volet de ce texte sans concessions
Macky Sall a illustré son propos par l’octroi de la démocratie, et le dessert servi aux tirailleurs sénégalais dans les casernes auquel n’avaient pas droit les autres tirailleurs africains, ce geste signifiant à ses yeux la « proximité » et » l’amitié » que la France témoignait à l’endroit du Sénégal. Pour conclure, il a remercié la France de la « décolonisation pacifique » qu’elle nous a offerte.
L’entourage proche du Président, sans approfondir l’idée des « choses positives », a tenté tant bien que mal, d’atténuer les effets de sa déclaration mais à propos du seul « dessert », qualifiant cette partie de « boutade », de trait d’humour, ou de propos hors-contexte, etc. Ils ont oublié l’essentiel !
Concernant les tirailleurs “sénégalais” (le terme englobe tous les soldats d’Afrique noire, hormis ceux des 4 communes), bien que classifiés comme soldats coloniaux, ils avaient un habillement distinct de celui des autres soldats coloniaux et français. Sur le front de la Première Guerre mondiale, ils mangeaient à part, à même le sol, autour d’un plat unique à huit ou dix et n’avaient droit comme dessert, qu’au partage de la noix de cola (censée peut-être, selon la hiérarchie militaire, leur donner vigueur et agressivité virile… face à l’ennemi).
Le privilège de l’ancienneté
A propos de la démocratie “octroyée” au Sénégal, le suffrage universel direct pour tous les citoyens et citoyennes est très récent en France… En revanche chez nous, l’empire du Mande, à l’image du Wagadu, était à la fois centralisé et très décentralisé. Lors des grandes assemblées du pays, toutes les régions, sous-régions et villages étaient représentés par leurs délégués officiels dont les origines sociales recoupent toutes les composantes de la société. L’empereur ouvrait chaque semaine des audiences de “contact et de doléances” avec son peuple, ouvertes à tous : individus, métiers, villages, etc. Elles peuvent être publiques ou privées.
En France, Blaise Diagne, nommé Commissaire de la République en 1917 après les révoltes criminellement réprimées des populations africaines du Bélédougou et du Bani-Volta en 1915-1916 contre l’enrôlement forcé de leurs meilleurs fils dans l’armée coloniale, n’a pas réussi à obtenir l’égalité promise pour les indigènes. En effet, il avait demandé aux Africains de donner leur sang (il réussit à enrôler environ 77 000 tirailleurs africains) contre quelques bienfaits matériels en attendant une égalité chimérique avec le colonisateur qui n’est jamais arrivée.
- Le Président, la colonisation ne nous a pas “octroyé” la démocratie car la loi Lamine Guèye du 7 mai 1946 a été aussitôt remise en cause et abrogée après le départ des communises du gouvenement en octobre 1946 ; elle n’aura existé que quelques mois sans jamais être appliquée… En effet, la loi du 5 octobre 1946, qui l’a supplantée, imprime l’inégalité devant le suffrage universel en offrant 544 députés à la France métropolitaine, 30 députés à l’Algérie et 40 députés aux autres colonies… Pourtant, une ordonnance du 7 mars 1944 promettait déjà la nationalité aux musulmans algériens dits “sujets” ou “locaux”, elle était restée lettre morte…
- Si les colonies étaient représentées selon leur poids démographique, elles auraient eu à l’époque beaucoup plus de représentants à l’Assemblée nationale que leur métropole… c’était cela le noeud gordien de l’affaire.
Quant à l’indépendance “pacifique octroyée” par la France en 1960, c’était un leurre, il suffit de songer au Vietnam, à l’Algérie, à Madagascar, au Cameroun qui luttaient pour leur liberté, les armes à la main, il suffit de se rappeler des menaces qui pesaient sur le RDA1 et sur tous les patriotes africains qui voulaient choisir la voie de la vraie indépendance, après la Seconde Guerre mondiale.
Si la France l’a offerte “pacifiquement », c’est pour deux raisons essentielles, d’une part, elle craignait l’embrasement généralisé en AOF et AEF pour réclamer l’indépendance après la Conférence de Bandoeng d’avril 19552, avec le soutien des communistes français et de l’URSS aux luttes de libération des colonies, et de l’autre, à cause des effets imprévus de la loi Lamine Guèye qui stipule qu’un citoyen est égal à une voix… ouvrant ainsi la voie à l’éventuelle arrivée massive de députés des colonies…
C’est pourquoi, après la IVe République, Charles de Gaulle, l’homme de Brazzaville, pourtant considéré comme l’ami de l’Afrique, ne voulait pas lui aussi, avec sa Ve République, voir surgir des centaines de députés et sénateurs nègres pour submerger les paisibles représentants des Français dits de souche… Aidé de son bras droit J. Foccart, ils ont imaginé la Communauté franco-africaine et une indépendance “pacifique octroyée” pour tenir les Nègres en laisse, dans le giron de la France (le fameux pré-carré). De Gaulle est un récidiviste, car il avait auparavant “nettoyé” l’armée française de ses soldats coloniaux à l’entrée de Paris en août 1944 pour les remplacer par des résistants dont une bonne partie étaient des tombés du ciel à la dernière seconde… Pourtant, ce sont ces soldats coloniaux débarqués au Sud de la France qui ont libéré l’intérieur de teritoire du Sud à Paris, épaulés par les vrais éléments de la Résistance.
Dans un deuxième volet, l’auteur évoquera « la colonisation et l’esclavage, les deux faces d’une même médaille ».