Lettre à Emmanuel Macron: « on ne désarme pas la Résistance »

Le projet d’Emmanuel Macron de créer « une force internationale d’interposition » à laquelle la France participerait et qui serait chargées de planifier le désarmement des groupes palestiniens à Gaza et d’aider l’armée israélienne a suscité cette lettre ouverte teintée d’ironie de Maher Mellakh, chercheur en philosophie de l’Histoire. Mondafrique publie ce texte par souci de pluralisme, mais sans adhérer ni de près ni de loin à une comparaison entre la Résistance française gaulliste et le Hamas tel qu’il a fonctionné le 7 octobre et ensuite dans une gestion violente et inacceptable des otages israéliens.

« Monsieur le Président,

Permettez à un simple observateur — peut-être un peu distrait, mais point amnésique — de vous adresser ces lignes depuis ce siècle où l’on se souvient encore que la liberté, jadis, ne s’obtenait point par décret administratif.

J’ai lu, avec l’émerveillement qu’on réserve d’ordinaire aux illusionnistes, votre déclaration annonçant la création d’« équipes techniques » chargées de planifier le désarmement d’un mouvement de résistance en Palestine.

Quelle trouvaille éblouissante ! Quelle modernité raffinée !

On croirait entendre un architecte expliquer comment abattre une maison tout en promettant de laisser les rideaux à leurs fenêtres.

L’impossible « désarmement » de la Résistance 

Pris d’un léger vertige d’historien amateur, je me suis demandé ce qu’il serait advenu si, en 1943, un chef du gouvernement de Vichy — peut-être inspiré par votre goût du compromis — avait prononcé la même phrase : « Demain, nos équipes techniques commenceront le désarmement de la Résistance française. »

Ah ! Quelle paix ! Quel ordre ! Quel silence admirable !

Paris eût été un modèle de discipline, les maquisards de simples jardiniers, et le général de Gaulle, sans doute, un employé modèle dans quelque usine allemande.

La France eût connu l’« harmonie » sous la férule des généraux nazis ; et vous, Monsieur le Président, seriez aujourd’hui, dans le meilleur des cas, directeur d’un centre de rééducation civique quelque part en Rhénanie.

La paix, une belle idée

Mais le destin, comme toujours, en a décidé autrement : les résistants ont conservé leurs armes, tandis que la France a conservé son honneur. Et le chef de cette Résistance, figurez-vous, devint président de la Quatrième République ! C’est dire que parfois, ne pas suivre les bons conseils des techniciens peut sauver une nation entière.

Je comprends votre souci de paix, Monsieur le Président.

La paix est une fort belle idée ; tout le monde l’aime, surtout ceux qui n’ont jamais eu à la conquérir.

Mais permettez à un vieil ami de l’Histoire de vous confier un secret :mon ne dompte la soif de justice avec des commissions d’experts.

Vous appelez cela un plan!

Moi, j’y vois une farce — tragique, certes, mais farce tout de même.

Car derrière les grands mots — sécurité, stabilité, reconstruction — se cache l’antique illusion : celle de vouloir que les opprimés déposent leurs pierres avant que les puissants ne cessent de lancer les leurs.

L’Histoire, Monsieur le Président, raffole de ce genre d’ironie :les nations qui désarment leurs résistances finissent tôt ou tard par devoir désarmer leurs consciences.

Et les présidents qui prêchent la neutralité devant l’injustice n’entrent guère dans les livres d’Histoire comme diplomates exemplaires, mais plutôt comme notes de bas de page au mot lâcheté.

Je vous laisse à vos équipes techniques ; qu’elles veillent simplement à ne pas trébucher sur un reste d’honneur oublié sous la table des négociations. L’honneur, voyez-vous, est un objet tranchant : il blesse souvent ceux qui le piétinent.

« Celui qui désarma la Résistance d’hier ne libéra point de patrie. Celui qui veut désarmer la Résistance d’aujourd’hui ne protège aucune paix. »

Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l’expression de mes salutations les plus ironiquement respectueuses.