Le Mali et le Burkina Faso ont décidé de coopérer avec la Turquie dans la lutte contre le terrorisme en achetant des drones turcs qui ont démontré leur efficacité lors des conflits au Karabakh en Azerbaïdjan, en Libye, en Ukraine et en Ethiopie.
Amadou TOGOLA, doctorant, Yildiz Technical University, Science, Politique et Relations Internationales togolassi63@gmail.com,
L’impact de ces drones n’est pas passé inaperçu aux yeux des autorités maliennes et burkinabè, qui ont récemment observé leur utilisation en Ukraine. En se dotant de ces drones, les deux pays espèrent renforcer leur capacité à lutter contre les groupes terroristes. Cette décision pourrait-elle changer la donne en faveur de ces pays ? Nous tenterons de répondre à cette question dans le cadre de notre analyse. L’industrie de la défense turque a développé des capacités significatives dans la fabrication et l’utilisation de drones dans le contexte de la lutte contre le terrorisme. Les drones offrent des avantages tactiques importants tels que la surveillance, la reconnaissance, et la capacité de mener des frappes précises sur des cibles terroristes. La Turquie a développé des drones de fabrication nationale tels que le Bayraktar TB2, qui ont été largement utilisés avec succès dans des opérations contre les groupes terroristes.
La Turquie est considérée comme un pays les plus expérimentés dans la lutte contre le terrorisme dans le monde.
Selon de nombreuses sources officielles et académiques turques, le pays a accumulé plus de 50 ans d’expérience dans la lutte contre les groupes armés. Le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), l’ASALA (Armée secrète arménienne pour la libération de l’Arménie) et l’État islamique sont tous considérés comme des organisations terroristes en Turquie.
Et cela fait plusieurs années que la Turquie combat ces organisations. Le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) est considéré en Turquie comme l’une des organisations terroristes les plus dangereuses au monde. Et l’État turc lutte contre cette organisation terroriste depuis 50 ans (Sanyürek et autres, 2021 : 45-46). La Turquie a encore acquis plus d’expérience dans la lutte contre l’Etat Islamique. En 2013, les menaces venant de la frontière irakienne ont poussé la Turquie à renforcer sa sécurité contre le terrorisme. L’avancée de l’Etat Islamique vers la Syrie a contraint en outre l’Etat Turc à prendre des dispositions pour sécuriser ses frontières avec la Syrie et l’Irak
Mais cela n’empêchera pas les attaques terroristes ciblant la Turquie. Les premières attaques de l’État islamique contre la Turquie se sont fait sentir à partir de 2014 avec la perte de plusieurs centaines de personnes (Çakır, 2016). L’attaque à la bombe piégée perpétrée en 2015 à la gare de train à Ankara a causé la mort d’une centaine de personnes. Après enquête, il s’est avéré que c’était une attaque commise par l’État islamique (Özkaya, 2019). Toutefois, la révolution dans l’industrie de la défense turque et la stratégie mise en œuvre ont changé la donne en faveur de la Turquie
La révolution de l’industrie de la défense turque, synonyme de progrès dans la lutte contre le terrorisme.
Ces dernières années, la Turquie a réussi à sécuriser ses frontières contre les groupes terroristes tels que le PKK et l’État islamique en Syrie et en Irak. La stratégie mise en place par l’État turc contre la menace terroriste a connu des succès remarquables. La réforme du service de renseignement turc est l’un des facteurs très importants dans le succès de la lutte contre le terrorisme. Selon Murat Yesiltas, un expert en géopolitique turque, la Turquie a réussi à venir à bout des groupes terroristes présents sur son territoire grâce à un service de renseignement très performant. Selon le même expert, la supériorité du renseignement et l’efficacité des opérations ont affaibli les groupes terroristes (Yeşiltaş, 2021).
La révolution de l’industrie de la défense accompagné d’un service de renseignement à la hauteur a permis aux forces armées turques de prendre le dessus sur les terroristes à leurs frontières avec la Syrie et l’Irak. Ces dernières années, plusieurs terroristes ont été neutralisés lors des opérations terrestres et aériennes menées par les forces armées turques. Au cours de l’année 2021, suite à ces opérations, plus de 200 terroristes se sont rendus (Aptekin, 2022).
Le service de renseignement du Mali et du Burkina Faso reste très faible et inefficace. Une collaboration avec la Turquie dans le cadre du renforcement des capacités du service de renseignement semble nécessaire dans la stratégie de lutte contre le terrorisme. Les forces de défense maliennes et burkinabè doivent renforcer leurs services de renseignement. Ce renforcement jouera un rôle important dans la lutte contre les groupes terroristes dans la région du Sahel.
L’un des objectifs du gouvernement Erdogan a toujours été l’indépendance de l’industrie de la défense. En 2020, lors du 35ème anniversaire de la Présidence de l’Industrie de la Défense Turque, le président turc Recep Tayyip Erdogan a, dans son discours, félicité l’évolution de l’industrie de la défense turque en déclarant : « Aujourd’hui, si la Turquie est en mesure de mener confortablement des opérations antiterroristes à l’intérieur de ses frontières et des opérations de maintien de la paix à l’extérieur de celles-ci, malgré toutes les difficultés imposées par les fournisseurs mondiaux et les embargos implicites et explicites qui ont été imposés, c’est grâce aux progrès réalisés par l’industrie de la défense au cours de cette période », a dit le président turc Recep Tayyip Erdogan (Yildirim, 2020)
En 2022, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré lors d’un de ses discours que l’objectif de la Turquie était d’être « indépendante dans l’industrie de la défense » (Türkiye Cumhuriyeti Cumhurbaşkanlığı, 2022). La montée en puissance actuelle de l’industrie de la défense en Turquie prouve déjà qu’il y a eu des avancées dans ce projet d’indépendance. De l’Asie à l’Afrique, la Turquie est devenue un important exportateur d’armement militaire. La République du Tchad fait partie des pays africains qui se sont dotés de voitures blindées turques. En 2021, le Kenya aurait également acheté 118 voitures blindées turques (Yildirim, 2021). En plus d’être indépendante dans le domaine de l’industrie de la défense, la Turquie devient un acteur principal dans l’exportation d’armements militaires. Les drones font partie de la révolution de l’industrie de la défense turque et jouent un rôle important dans la stratégie de lutte contre le terrorisme.
La Montée en Puissance des Drones Turcs dans la Stratégie de la Lutte Contre le Terrorisme
Les drones sont devenus des pièces maîtresses de la révolution de l’industrie de la défense. Le projet de drone lancé en 2007 par Baykar (Baykar Technologies) et TUSAŞ (Société par actions turque des industries aéronautiques) est devenu un moteur principal de la politique sécuritaire de l’État turc (Yeni Safak, 2023). La révolution des drones dans la stratégie de lutte contre le terrorisme a totalement renversé la situation en faveur de la Turquie. Les drones sont pratiquement utilisés dans toutes les zones suspectées d’abriter des terroristes, que ce soit à la frontière avec l’Irak ou la Syrie, où de nombreux terroristes ont été neutralisés à l’aide des drones (Kucukoglu, 2022)
En 2022, 74 terroristes ont été tués et 26 ont été neutralisés à l’aide de drones à la frontière avec la Syrie. Pendant la bataille d’Afrin, lancée le 20 janvier 2018 et baptisée « Opération Rameau d’Olivier », les drones turcs ont également joué un rôle important dans les opérations. Au cours de cette opération, 1 129 terroristes ont été tués ou neutralisés, et le rôle des drones aurait été capital (Yeni Safak, 2023). Selon les sources officielles turques, la ville d’Afrin a été débarrassée des terroristes. Dans le cadre de la stratégie réussie de lutte contre le terrorisme, le drone « Bayraktar TB2 » a été largement utilisé. Les drones Bayraktar TB2 ont également été utilisés lors de « l’Opération Bouclier de la Paix », lancée le 27 février 2020 par l’État turc contre les groupes terroristes à la frontière avec la Syrie. Selon le ministère de la Défense de la République de Turquie, en plus de l’équipement militaire saisi aux terroristes, plus de 3 000 membres de différentes organisations terroristes ont été neutralisés (Milli Savunma Bakanlığı, 2023).
Le Succès des Drones Turcs au-delà des Frontières Turques
Selon la direction de Baykar Technologies, en 2021, les drones Bayraktar TB2 ont été exportés vers 13 pays, et en 2020, la valeur des exportations aurait atteint 360 millions de dollars (Baykar, 2021). Parmi les pays importateurs des drones Bayraktar TB2, on trouve des pays africains tels que le Maroc, la Libye, la Tunisie, le Mali et le Burkina Faso. En 2021, le Maroc aurait acheté 13 drones Bayraktar TB2 (Mevluoglu, 2022). La Tunisie aurait été dotée de 6 drones Bayraktar en 2020 (Timeaerospace, 2022).
Selon plusieurs sources turques et internationales, les drones turcs ont permis de stopper les milices du Général Haftar en Libye. Pendant la guerre civile libyenne, la Turquie et la Russie soutenaient deux camps opposés, et sur le terrain, les drones Bayraktar TB2 ont pris le dessus sur le système anti-aérien russe Pantsir-S1, qui peut être monté sur un véhicule et tire des missiles sur des avions. Au moins neuf Pantsirs ont été détruits (Witt, 2022). En juillet 2019, les drones ont effectué des frappes en direction de la base aérienne de Jufrah, contrôlée par l’Armée nationale libyenne (LNA), détruisant plusieurs centres de commandement et de contrôle, ainsi que deux avions de transport (Rakesh, 2020)
Un autre conflit a éclaté dans le Caucase en 2020, lorsque l’Azerbaïdjan a lancé une offensive contre l’enclave ethnique arménienne du Haut-Karabakh. Pendant six semaines, les drones TB2 ont bombardé sans relâche les positions arméniennes, détruisant plus de cinq cents cibles, dont des chars, de l’artillerie et des systèmes de défense antimissile
Tout récemment, pendant la guerre en Ukraine, les drones Bayraktar TB2 ont été très médiatisés. L’Ukraine figure désormais parmi les pays importateurs de ces drones et possédait déjà 20 exemplaires en début d’année 2022 (Mevluoglu, 2022). Les drones turcs ont été utilisés lors de la bataille du Dombas (Witt, 2022).
L’Éthiopie fait également partie des pays africains importateurs de drones turcs. En 2020, durant le conflit au Tigré, le gouvernement éthiopien aurait utilisé des drones turcs Bayraktar TB2 contre les forces de défense du Tigré. L’utilisation de ces drones aurait changé le cours de la guerre, comme cela a été le cas en Libye, en Azerbaïdjan et en Ukraine (Zwijnenbourg, 2022)
Les drones turcs pourraient bien aider le Mali et le Burkina Faso dans la lutte contre les groupes terroristes
Il est vrai que le Mali et le Burkina Faso sont deux pays qui font face à des défis sécuritaires importants liés à la présence de groupes terroristes sur leur territoire depuis plusieurs années. L’acquisition de drones tels que les Bayraktar TB2 peut être une solution intéressante pour améliorer la capacité de surveillance et de renseignement de ces pays, mais cela ne résoudra pas à lui seul les problèmes de sécurité. En 2022 le Mali a reçu des drones de surveillance et des drones de combat turc selon l’Agence Anadolu (Maiga, 2023). L’utilisation des drones ont commencée dans la région. De l’autre coté en mars 2023 l’armée Burkinabé aurait fait des frappes de drones neutralisant des terroristes (Yenişafak, 2023).
Il est vrai que les drones peuvent être utilisés pour surveiller les vastes étendues de territoire et traquer les groupes terroristes à distance, mais il est important de noter que leur utilisation doit être réglementée et limitée pour éviter des pertes civiles et des violations des droits de l’homme. Dans ce cas une collaboration avec l’Etat turc qui a grande expérience dans la lutte contre le terrorisme serait nécessaire.
LE SAHEL MENACÉ
Le Mali et le Burkina Faso sont confrontés depuis près d’une décennie à une montée des organisations terroristes. Parmi celles-ci, on peut citer AQMI, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), qui sont considérées comme les organisations terroristes les plus dangereuses de la région (Afrikajom Center, 2020 : 10). Au cours des dix dernières années, des milliers de personnes ont été tuées par des attentats terroristes dans la région du Sahel, dont le Mali et le Burkina Faso sont parmi les pays les plus touchés. Le Burkina Faso a enregistré le plus grand nombre de pertes avec plus de 8 000 morts au cours des dernières années, selon de nombreuses sources (Africanews, 2023). Malheureusement, il n’existe pas de véritable stratégie commune entre le Mali et le Burkina Faso pour faire face à ce défi du terrorisme. L’une des principales lacunes dans la lutte contre le terrorisme est le manque d’équipements militaires ainsi que la faiblesse des armées locales pour contrer les organisations terroristes. Les attaques terroristes touchent des milliers de civils en raison de leur influence. Au cours de la dernière décennie, des milliers d’écoles ont été ciblées par des groupes terroristes au Mali et au Burkina Faso. En conséquence, des milliers d’enfants ne peuvent plus aller à l’école (Booty, 2019). Pour relever ce défi, une stratégie militaire renforcée et adaptée à la lutte contre le terrorisme, avec des moyens efficaces, est nécessaire.