Avec le séisme de l’épidémie de coronavirus, les services essentiels et la solidarité doivent revenir au 1er rang des politiques publiques, aussi bien en Europe qu’en Afrique !
Une chronique de Patrice Fonlladosa, président de (Re)Sources et Najwa El Haïté, docteure en droit public
En cette période de grave crise sanitaire, qui devient une crise de confiance, les secteurs d’activités dits « essentiels » sont principalement les seuls à continuer de fonctionner. On pense naturellement à la santé mais d’autres secteurs moins en vue jouent un rôle tout aussi important dans la vie quotidienne des Français confinés.
Eau, transports et éducation, les priorités absolues
En tout premier lieu les services d’eau, d’assainissement, de déchets et d’énergie occupent une place centrale. Progressivement négligés, puis devenus presque transparents à nos vies, ces services à l’Homme surgissent dans les priorités premières qui « organisent » nos quotidiens. On découvre leur vraie et profonde valeur.
Quant aux transports publics, ils continuent de fonctionner mais de manière réduite ce qui handicape la mobilité des personnels soignants, infirmiers, policiers, caissiers, femmes de ménage vivant majoritairement dans les territoires périphériques des grandes métropoles du fait du coût exorbitant des loyers et de l’inaccessibilité à la propriété pour ces professions le plus souvent faiblement rémunérées. Et pourtant leur travail est considéré comme essentiel pour le bon fonctionnement du pays. Ce constat conforte les travaux du géographe Christophe Guilluy qui estime dans son ouvrage intitulé « Fractures françaises » que nous devons repenser l’aménagement du territoire.
Cette crise nous révèle également une autre vulnérabilité celle liée à l’instruction. Des familles sont moins à l’aise avec les outils numériques, avec certaines matières dont la langue française ou ne disposent pas de moyens pédagogiques adaptés pour enseigner à leurs enfants en situation de handicap.
L’armée en première ligne
En temps de « guerre déclarée », l’armée œuvre aussi dans l’ombre : livraison de plusieurs millions de masques au personnel soignant, mobilisation de moyens technologiques et scientifiques, construction d’un hôpital de campagne d’urgence à Mulhouse, poursuite de la mission Sentinelle de lutte contre le terrorisme du fait de la menace toujours présente sur notre territoire comme le prouve l’attaque au couteau à Romans-sur-Isère dans la Drôme.
En dépit des coupes budgétaires répétées, l’armée assume son rôle engagé auprès des populations. Chaque jour le montre.
Cette crise a un impact profond et irréversible sur notre vie quotidienne quand on la compare à d’autres évènements passés. Elle a un effet de loupe sur les fragilités évidentes de nos politiques publiques.
Un coup de semonce
Dès lors, de nombreuses questions surgissent : faut-il maintenir la diminution drastique des effectifs des armées sans redessiner leur mission, alors qu’elle reflète la capacité de la nation à répondre de manière structurée et en temps réel à une crise ? Ne faut-il pas sans attendre reconsidérer l’aménagement de notre territoire ? Ne peut-on pas déjà réfléchir à rendre plus efficace notre système de santé par une approche moins technocratique notamment en faisant confiance aux acteurs de soin présents sur nos différents territoires ? N’y a-t-il pas urgence à engager la réflexion sur la ré-industrialisation de notre pays en re-localisant une partie de la production estimée indispensable, et les médicaments au premier rang ? Cette crise particulièrement violente sonne comme un coup de semonce dont nous aurions grand tort d’ignorer la portée.
En effet, le manque de moyens de nos services publics n’est pas imaginaire. Les 35 heures à l’hôpital et les différentes restrictions budgétaires nous font un pré-solde pas encore de tout compte, mais prenons cela comme une alerte rouge : il est temps de faire des choix de politiques publiques, de prioriser et d’allouer des budgets en conséquence. Les comptables au service du politique, et plus jamais l’inverse.
Vers une souveraineté sanitaire
La question de la relocalisation de la production de biens essentiels en Europe se posera également avec beaucoup d’accointance ainsi que la mise en place de stocks stratégiques de masques et de gel hydro-alcoolique au niveau de l’État, des établissements publics (hôpitaux, EPADH) et même des particuliers. C’est essentiel car nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle pandémie mais aussi de risques d’attaques terroristes bactériologiques. L’État devra également revoir la valeur accordée aux services essentiels, et bousculer en conséquence les habitudes salariales. Cela s’avèrera indispensable à la cohésion sociale de notre pays.
Le Président de la République concentre les critiques mais la colère passée, force est de constater que ce sont bien les gouvernements successifs qui ont fragilisé l’hôpital, « financiarisés » l’ensemble des services publics et mis à mal notre politique industrielle. Pas une usine en Europe de paracétamol, et 80% des matières premières de nos médicaments sont fabriqués en dehors de l’UE, souvent dans des pays émergents. Il en est de même pour les masques et le gel hydro-alcoolique. Ouvrons aussi les yeux sur nos voisins : notre pays dispose de six lits d’hôpital pour 1.000 habitants et de 5 000 lits équipés d’un ventilateur pulmonaire tandis que l’Allemagne en dénombre 25 000.
Afrique, la pénurie alimentaire
En Afrique, la situation est bien plus préoccupante. Le directeur de l’OMS appelle l’Afrique « à se réveiller » et « à se préparer au pire ». Une quarantaine de pays ont avec peine adopté des mesures de confinement pour éviter un afflux massif dans les hôpitaux faiblement équipés. On compte 15 lits de réanimation au Burkina Faso, 15 en Somalie, 22 au Gabon ; mieux loti le Maroc en compte 3000.
Concernant les respirateurs, le Niger en dispose de 5, oui 5 respirateurs d’urgence au niveau national, au Togo 4 mais une commande de 250 appareils est actuellement en cours tandis que la Côte d’Ivoire et le Sénégal en ont respectivement 20 et 80. Ce bilan matériel est bien insuffisant en cas de pic du nombre de patients infectés. Il y a donc toutes les raisons d’être inquiet. En effet, même si le continent a une population jeune, le niveau de pauvreté est tel dans certains pays, qu’il en est extrêmement vulnérable.
Pour ajouter au pire, devant le risque sanitaire se profile un mal bien plus grand encore pour lequel peu de réponses sont prêtes : le très grave risque de pénurie alimentaire
Alors, même si l’Union Africaine tente une réponse coordonnée et réunit des fonds et des talents, l ’Afrique a nécessairement besoin de moyens et de solidarité internationale pour ne pas connaître dans certains pays une crise sanitaire accompagnée d’une grave crise politique et sociale.
Il est à espérer que l’UE et notre pays soient à la hauteur de ces différents enjeux.
C’est en tous cas le grand retour du politique, mais aussi de la responsabilité. Voilà la bonne nouvelle.