Des medias reconnus comme « Le Monde » ou France Inter, qui ont écrit des centaines d’articles sur les opposants et autres journalistes mis sur écoute grâce au logiciel espion Pegasus dans une dizaine de pays, ne se sont jamais interrogés publiquement sur l’origine des fuites. La question est pourtant pertinente face à cette opération particulièrement réussie de communication à l’échelle mondiale contre le renseignement israélien.
Ces dernières années, un certain nombre de medias reprennent, sans jamais s’interroger sur l’origine des fuites, des informations confidentielles fournies, clés en mains, par de mystérieux collectifs et autres ONG dont on ne connait ni le financement, ni les motivations, ni encore moins les sources d’information. Or il s’agit là de données essentielles, dont l’évaluation seule permet aux journalistes de ne pas être manipulés. L’identité de la source peut être plus significative parfois que le contenu même des révélations. Or c’est le cas dans le dossier du logiciel israélien Pegasus
Des révélations qui ont fait long feu !
Au début de cet été, l’affaire des personnes mises sur écoute dans une petite dizaine d’États qui avaient acheté le logiciel espion israélien Pegasus est révélatrice des nouvelles pratiques du journalisme d’investigation. On a eu connaissance en effet, via des centaines de papiers, des listings où figuraient de multiples personnalités écoutées par des services de renseignement dans des pays clients de la société israélienne NSO, dont chacun connait les liens avec le Mossad. Ces révélations, qui ont rapidement fait long feu, ne révélaient pourtant rien de très bouleversant, même si elles ont permis aux journalistes destinataires de s’approprier des informations qu’ils n’avaient guère trouvé par leurs propres moyens.
Rien en tout cas de vraiment étonnant à ce que des gouvernements peu ou pas démocratiques cherchent à écouter leurs adversaires politiques ou leurs partenaires internationaux. Souvenons nous que même les Américains, voici quelques années, n’ont pas hésité à espionner leurs plus fidèles alliés, dont la chancelière allemande, Angela Merkel (1).
Le discrédit du Mossad
En revanche il convienr de s’interroger sur l’origine de ces fuites massives. Qui avait ainsi intérêt à discréditer la technologie israélienne du renseignement à travers un certain nombre de régimes amis de l’État hébreu, du type des Émiratis, des Séoudiens, des Marocains ou même – ce qui est moins connu- des Azéris? Quel service de renseignement avait les moyens de livrer à une ONG franco-américaine, gare de triage improbable de ces secrets d’État, des annuaires entiers sur des personnes susceptibles d’être écoutées? Sous réserve, il est vrai, des vérifications qui apparemment n’avaient pas été encore faites au moment de la livraison brute des listings.
En d’autres termes, à qui profite le crime?
Or l’administration américaine pilotée par Joe Biden, dont on sait depuis l’affaire de la vente des sous marins français à l’Australie qu’elle n’a pas d’états d’âme, a de bonnes raisons de se réjouir de cette vaste opération de discrédit contre le logiciel Pegasus et son véritable détenteur, le Mossad. Les fuites qui ont eu lieu massivement dans la presse servent au mieux leurs intérêts tant commerciaux que politiques.
Renseignement, un quasi monopole américain
Depuis le « réseau Échelon », qui désigne depuis la guerre le système mondial d’interception des communications privées et publiques, élaboré par les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie, les Américains dominent le système mondial du renseignement. Plus récemment, les révélations du lanceur d’alerte, Edward Snowdem, ancien employé de la NSA et de la CIA, confirmèrent cette capacité américaine à espionner la planète, y compris ses propres alliés. C’est aujourd’hui la société Palantir, basée à Denver au Colorado (un milliard de revenus et 2500 salariés), et adossée à la National Security Agency (NSA) du ministère américain de la Défense, qui domine le marché de la sécurité des systèmes informatiques à travers le monde. Au point que l’ex Premier ministre de François Hollande, Manuel Valls, et son conseiller de l’ombre, Alain Bauer, n’ont pas hésité à se rapprocher du géant américain de l’analyse des données quand il s’est agi après les attentats de 2015 de renouveler les équipements de la DGSI, les services de contre espionnage français.
Il est clair que lorsque le Mossad, fort des remarquables performances des milieux de la recherche israéliens, a inventé, un logiciel ultra sophistiqué qu’ils distribuaient généreusement, les Américains l’ont particulièrement mal vécu. Eux qui espionnaient la terre entière, voyaient soudain un certain nombre de ces États sous surveillance bénéficier eux aussi de moyens d’écoute quasiment équivalents, même si les contrats de vente du logiciel Pegasus stipulent que les citoyens américains ne doivent pas être écoutés.
Personne en tout cas à Washington n’a versé une larme lors des révélations à l’échelle mondiale des terribles failles du système Pegasus.De là à penser queles services américains ont été à l’origine de ces fuites, il y a un pas que certains experts français, consultés par Mondarique, franchissent sans hésitation
Équilibres politiques au Moyen Orient
Autre élément de contexte, les révélations de l’été sont intervenues alors que le nouveau président américain se heurte à une opposition plus ou moins ouverte de la droite israélienne, aujourd’hui aux commandes, à sa politique d’ouverture vers l’Iran et à sa volonté de réintroduire le pays des Mollahs dans le jeu politique moyen oriental Le coup de massue que furent les fuites sur Pegasus pour israêl et ses amis dans le monde arabe peut également passer pour une sorte de rappel à l’ordre.
Comme les services américains et la NSA sont à peu près les seuls dans le monde à avoir la capacité de pirater sur une telle échelle leurs « amis » israéliens, laisse penser qu’ils ne sont pas tout à fait étrangers aux centaines de noms de personnes possiblement écoutées jetées en pâture à l’opinion mondiale.
(1) C’est ce qu’a avancé une enquête de la télévision publique danoise en 2021 à laquelle Le Monde, la Süddeutsche Zeitung, les chaînes allemandes NDR et WDR, ainsi que les télévisions publiques suédoise (SVT) et norvégienne (NRK) ont eu accès.