Polarisée autour face à face entre les islamistes du Parti de la Justice et de la Démocratie (PJD) et le Parti de l’Authenticité et de la Modernité (PAM), qui se veut moderniste, la campagne pour les législatives marocaines du 7 octobre prend, dans plusieurs circonscriptions du territoire, la forme d’un véritable match.
Populaires dans les grands centres urbains où ils ont fait un triomphe lors des élections communales et régionales de décembre 2015, les islamistes du PJD comptent bien conforter leur avance dans les villes tout en chassant sur les terres, majoritairement rurales, de leurs adversaires. Une campagne tendue sur fond de bras de fer entre le Palais et le leader islamiste Abdelilah Benkirane dont la popularité croissante inquiète le pouvoir. Face à cette montée en puissance, le parti du PAM créé en 2008 par le conseiller du roi Fouad Ali El Hamma tente de faire front avec les autres formations politiques dans l’orbite du régime, l’Istiqlal, le Rassemblement national des indépendants (RNI) ou encore l’Union Constitutionnelle (UC), en nommant de prestigieux leaders.
Récupération des candidats
Au nord du pays dans la circonscription de Tanger-Assilah, le favori du scrutin, Najib Boulif, candidat du PJD et ministre délégué chargé du transport avait déjà permis aux islamistes d’asseoir leur pouvoir sur la ville en raflant trois sièges lors du dernier scrutin de 2011. Face à lui, son concurrent d’alors, l’ancien maire de la ville Fouad El Omari, frère de l’actuel leader du PAM, Ilyas El Omari qui n’hésite pas à mettre la machine du parti au service de son frère, veut jouer le « match retour ». Une contre-offensive peu redoutée par Najib Boulif dont la liste comprend une autre figure locale, Samir Abdelmoula qui avait fait un court passage à la tête de la mairie de la ville sous l’étiquette… PAM.
Dans ce contexte électoral tendu, la récupération d’anciens adversaires est devenu monnaie courante. A Al-Hoceima, bastion du PAM dans la région du Rif d’où est originaire Ilyas El Omari, le PJD a notamment investi « un pur produit du PAM », Najib Ouazzani comme tête de liste. Une provocation qui répond à deux coups de filet réalisé par le parti d’El Omari. Ce dernier a recruté l’homme d’affaires Fawzi Chaâbi, candidat dans la ville de Kénitra, et sa soeur Asmae Chaâbi, maire d’Essaouira. Anciens membres du parti communiste (PPS), les enfants du célèbre milliardaire défunt Miloud Chaâbi qui avait fait fortune dans les BTP, avaient claqué la porte après l’alliance conclue entre ce parti avec les islamistes lors des élections législatives de 2011. A Kenitra, Fawzi Chaâbi règle désormais ses comptes avec le PJD dont il critique publiquement le bilan de ces quatre dernières années. Il est désormais en compétition avec Aziz Rabbah, le député-maire de Kénitra et ministre de l’Equipement et du Transport dont beaucoup affirment qu’il entretient l’ambition de prendre un jour la tête du PJD.
Hommes d’affaires contre islamistes
Autre tendance pour ces législatives, la nomination d’hommes d’affaires capables de soutenir financièrement la campagne. Outre Fawzi Chaâbi, le PAM a investi le leader de la transformation de viande au royaume, Haj Tahar Bimezzagh, comme candidat à Mohammedia près de Rabat. Il y affronte la tête de liste du PJD, Saad-Eddine El Othmani, ancien ministre des affaires étrangères et psychiatre de formation qui avait déjà remporté deux sièges en 2011.
A Casablanca, où le PJD détient la mairie et le PAM la région, les dagues sont sorties. Plusieurs candidats du PJD dont le maire Abdelaziz El Omari également ministre chargé des Relations avec le Parlement devront affronter des personnalités triées sur le volet par le PAM pour leur ancrage local tels que Said Naciri, président du club de foot Wydad de Casablanca ou encore Ahmed Brija, ancien vice-président du conseil de la ville.
Valses à plusieurs
Dans d’autres circonscriptions, la place qu’occupent les autres formations politiques telles que l’Istiqlal ou le RNI dans la compétition brouille le jeu des duels.
Ainsi à Tétouan, la bataille se joue à trois sans le PAM entre Mohamed Idaomar, le président de la Chambre des représentants Rachid Talbi Alami, candidat du RNI et le candidat de l’Istiqlal, Achraf Abroun, fils du président du MAT
A Larache dans le nord du pays, le leader du PJD, Abdelilah Benkirane, a livré une véritable démonstration de force en tenant un grand meeting dimanche 2 octobre. Objectif, se faire entendre dans une circonscription où le candidat islamiste, Mohamed Hamdaoui, ancien président du MUR, matrice idéologique du PJD, affronte le puissant patron du syndicat national de la presse Abdellah Bakkali, membre de l’Istiqlal
La course aux électeurs radicaux
Par ailleurs, le paysage électoral marocain laisse apparaître, en filigrane, une âpre bataille entre les deux camps pour la récupération des électeurs les plus radicalisés. La désignation (avant invalidation sous ordre des autorités) du prédicateur salafiste Hammadi Kabbaj comme tête de liste du PJD dans une circonscription de Marrakech se voulait une main tendue vers ce viviers de votants.
Moins assumées du coté des dits « modernistes » – en particulier le PAM qui délègue volontiers la tâche à ses partenaires de la coalition parlementaire – les stratégies d’approche de cet électorat sont pourtant au cœur de la campagne. En nommant l’ancien détenu salafiste, Mohamed Abdelwahhab al-Rafiki dit « Abou Hafs » second de sa liste dans la circonscription de Fès-Nord, l’Istiqlal tente de remonter la pente alors que la ville, longtemps acquise au patron de cette formation, Hamid Chabat, qui en fut le maire, a été récupérée par les islamistes lors des municipales de 2015. Même stratégie à Tanger, où l’Istiqlal présente un candidat salafiste, Hicham Temsemani Jad, en tête de liste.