Comme chacun sait, les faits ne parlent pas d’eux-mêmes. Ils doivent être contextualisés et surtout interprétés avec honnêteté. D’où l’importance croissante des récits qui ont l’ambition de « dire » la réalité. Cette dernière est, comme on dit, « têtue » et, comme toute vérité qui se respecte, elle vient tard mais, inexorablement, elle vient.
Mauro Armanino, Niamey, mai 2025
Dans cette partie du monde, on a inventé les griots ou conteurs qui, avec un art qui se transmet de génération en génération, racontent des généalogies et des événements qui glorifient (et parfois) défient le pouvoir. La réalité faite d’événements circule, de manière ambiguë, entre leurs mots.
Aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux qui jouent ce rôle en termes, souvent, de simple propagande idéologique. Les mots-clés des pays qui composent le Sahel central, le Burkina Faso, le Mali et le Niger, reflètent ce que l’on appelle sous d’autres cieux le populisme souverainiste. La préservation de la patrie se greffe sur la souveraineté nationale et le tout débouche sur une « refondation » qui devrait rouvrir l’horizon, jusqu’ici trahi, de la vraie réalité.
Ce n’est donc pas un hasard si ces pays, par cohérence avec ce qui a été dit plus haut, liquident les partis et si la vie politique du pays se traduit par de simples symboles.
Un seul drapeau
Les trois drapeaux des pays susmentionnés placés sur les ronds-points de la capitale, décolorés et oubliés dans le vent, sont remplacés par un seul drapeau. Il y a aussi un nouveau passeport qui n’ouvre pas les frontières encore fermées par choix. Un nouvel hymne baptisé « Le Confédéral » a été créé. Des comités veillent nuit et jour à la bonne santé du régime prétendument anti-impérialiste, panafricain et révolutionnaire. De nouvelles alliances et de nouveaux partenaires se créent sans renier les anciens. Entre un symbole et un autre, la réalité revient, obstinée, face au quotidien ardu et inexorable des citoyens nigériens.
L’effort des pays en question pour « orienter » et rendre « compatibles » l’information et la « narration » unilatérale de la réalité avec les régimes militaires ne semble pas fortuit. Les journalistes ou les citoyens qui seraient tentés de proposer une forme de narration différente de la narration « officielle » se heurtent à des enlèvements, des disparitions, des interrogatoires par des unités anti-terroristes et parfois des emprisonnements. Le « ministère de la Vérité », comme le rappelait l’écrivain George Orwell, a de beaux jours devant lui. Sauf que la réalité a le défaut d’être têtue et finit toujours par s’imposer.
Mauro Armanino, Niamey, mai 2025