L’édito de Seidik Abba: « France-Afrique, Requiem pour la diplomatie verticale »

Faute d’avoir anticipé et adapté ses relations avec ses anciennes colonies africaines, la France est prise par surprise de N’Djamena à Dakar, en passant par Bamako, Niamey et Ouagadougou. Un changement d’époque qui sonne le glas de la diplomatie verticale.

L’éditorial du rédacteur en chef de Mondafrique, Seidik Abba

A N’Djamena, l’armée française a remis jeudi 30 janvier 2025, les clés de sa dernière base aux autorités tchadiennes. Si cet événement marque à lui seul la fin d’une époque, il faut pourtant reconnaître qu’il n’y a pas qu’au Tchad que s’opère désormais un miracle dans les relations entre la France et ses anciennes colonies africaines. A Dakar, naguère une des plus emblématiques places fortes du pré-carré, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a réaffirmé le 31 décembre 2024 « qu’il n’y aura bientôt plus aucun soldat sur le territoire sénégalais ». Beaucoup pensaient n’avoir pas bien attendu ou bien compris avant que le président Faye ne donne dans le quotidien français Le Monde les détails précis de son exigence de la fermeture du camp des Eléments français du Sénégal (EFS).

Mais c’est sans doute à Ouagadougou, au Burkina Faso, que s’est illustrée la plus grande perte d’influence diplomatique et militaire de la France au Sahel, notamment. Après avoir tout essayé sans y parvenir, Paris s’est résolu enfin à solliciter l’aide du Maroc pour obtenir la libération en décembre 2024 de 4 agents de la DGSE retenus pendant un an par le pouvoir militaire burkinabé.  Le Maroc au secours de la France dans une de ses anciennes colonies, c’est véritablement la fin d’une époque. Celle où la diplomatie et l’armée françaises faisaient la pluie et le beau temps.

Exit Air France, Orano et TotalEnergies

Il n’y a pas que les bases militaires, et même l’ambassade dans le cas du Niger, qui ont dû fermer. Signe du vent de changement qui souffle : Orano, dont le directeur général était naguère si puissant dans ses rapports avec les autorités nigériennes qu’il avait la ligne directe du président de la république, a dû porter son différend avec les militaires au pouvoir à Niamey devant les instances arbitrales internationales (Abidjan et New York). Le permis de la mine d’uranium d’Imouraren a été retiré à Orano par les militaires, les exportations de la SOMAIR, désormais son unique filiale dans le pays, sont bloquées avec la fermeture de la frontière nigéro-béninoise. Au siège du géant français du nucléaire à Paris, ne plus avoir le moindre levier, ni diplomatique, ni économique, à actionner au Niger n’est pas un simple changement de rapport de forces, c’est presque la révolution.  Autre géant de l’économie française, autre cruel destin dans une ancienne colonie. Au Mali, TotalEnergies a dû vendre toutes ses stations-services et quitter le pays. Il n’y avait déjà plus Air France au Mali, ni au Burkina Faso et au Niger.

Posture du déni

Bien au-delà de l’ampleur de ce recul, ce qui interroge c’est la myopie qui a empêché la France de détecter les évolutions contextuelles dans ses anciennes colonies et d’adapter le paradigme de ses relations avec elles. La posture du déni a conduit les cercles français qui suivent l’Afrique à considérer ceux qui donnaient l’alerte soit comme « des agents de Moscou»,  soit pas « assez francophiles ». A travers ce prisme, aucune critique de la France en Afrique n’était jugée ni objective, ni sincère! 

La France s’est ainsi cramponnée à la diplomatie verticale dans laquelle elle faisait considérer voire imposait de considérer que son ennemi supposé est aussi celui de la Centrafrique, de la Mauritanie, du Togo, etc. A coups de menton et de sorties hasardeuses de certains ambassadeurs, elle obtenait ce qu’elle voulait, quand elle voulait dans le pré-carré. Ses entreprises aussi.

 C’est donc cette époque de la diplomatie verticale qui vit ses derniers jours, avec ce qui se joue au Sahel central, au Sénégal et au Tchad. Et qui pourrait bientôt gagner d’autres anciennes colonies. Il appartient finalement à la France elle-même de changer le paradigme de ses relations avec ses anciennes colonies, de passer de la relation verticale aux rapports horizontaux : gagnant-gagnant et mutuellement respectueux. Dans le contexte actuel de compétition exacerbée en Afrique, l’équation est simple : d’adapter ou disparaître.

Seidik Abba