Le débat sur le désarmement du Hezbollah masque l’échec collectif du Liban : détournement des responsabilités, blocages confessionnels et absence de réforme perpétuent l’impuissance nationale. Au-delà du slogan, c’est l’impasse de la souveraineté et la faillite du système qui se révèlent.
Le débat sur le désarmement du Hezbollah occulte une réalité fondamentale : le parti-milice, s’il est aujourd’hui le principal facteur d’instabilité et de paralysie de l’État libanais, est aussi le produit de décennies de faillite politique, sociale et institutionnelle. Sa montée en puissance s’explique par l’échec structurel du système libanais à assurer une sécurité équitable, à bâtir une administration efficace, et à offrir une vision nationale commune à l’ensemble de la population.
En cela, le Hezbollah est moins une « exception » qu’un symptôme aggravé du dysfonctionnement national.
Le recours au slogan du désarmement permet à de nombreux acteurs – à l’intérieur comme à l’extérieur du pays – de se défausser de leurs propres responsabilités. Plutôt que d’assumer l’incapacité à réformer l’État, à promouvoir la justice ou à garantir l’égalité devant la loi, on préfère désigner le Hezbollah comme unique obstacle à la renaissance nationale. Cette logique de bouc-émissaire détourne l’attention des causes profondes : le confessionnalisme institutionnalisé, la corruption endémique, la captation des ressources publiques par des réseaux clientélistes, et l’absence de tout projet d’avenir crédible.
Complicité, duplicité et renoncements de l’élite
L’analyse des dernières décennies montre que l’intégration du Hezbollah au sein du système politique libanais s’est faite avec le consentement, parfois l’enthousiasme, des autres composantes du pouvoir. La présence du parti au gouvernement, sa représentation parlementaire, la protection de ses réseaux sociaux et économiques n’auraient pas été possibles sans l’aval – explicite ou tacite – des principaux partis chrétiens, sunnites et druzes.
L’exemple de l’élection de Michel Aoun à la présidence en 2016, réalisée avec l’appui décisif du Hezbollah mais aussi l’accord de ses adversaires d’hier, illustre la capacité du système à faire de ses « ennemis » d’hier « ses amis « de demain pour préserver les équilibres confessionnels au détriment de l’intérêt général.
Ceux qui réclament aujourd’hui le désarmement du Hezbollah sont souvent les mêmes qui ont profité, hier, de ses réseaux pour accéder au pouvoir, obtenir des concessions ou neutraliser des rivaux. Les alliances se font et se défont au gré des intérêts, des échéances électorales ou des pressions étrangères, sans que le moindre principe de souveraineté ou de justice n’ait jamais guidé la trajectoire collective.
Un débat instrumentalisé pour éviter la réforme
Le débat sur le désarmement fonctionne donc, en grande partie, comme un rideau de fumée. Il occupe le devant de la scène, monopolise les discours politiques et médiatiques, tout en permettant d’éviter les vraies questions : la réforme du système confessionnel, la refondation de la justice, la lutte contre l’impunité, la relance d’un projet économique durable.
À chaque crise, à chaque échéance internationale, le débat resurgit, ravivant les passions, attisant les peurs et mobilisant les divisions. Mais il n’est jamais accompagné d’un plan d’action concret, ni d’un calendrier, ni d’un engagement à changer les pratiques politiques qui ont permis l’essor du Hezbollah.
La FINUL elle-même, malgré sa mission officielle de soutien à la souveraineté libanaise, finit par s’inscrire dans cette logique de temporisation : son maintien évite une confrontation directe, tout en repoussant indéfiniment l’examen des failles institutionnelles du pays.
L’impasse de la souveraineté nationale
La conséquence la plus grave de cette instrumentalisation est l’enfermement du Liban dans une souveraineté empêchée. Tant que le système demeure fondé sur la méfiance mutuelle des communautés, sur la distribution confessionnelle du pouvoir, et sur la fragmentation des réseaux de sécurité, aucune autorité centrale ne peut prétendre incarner la nation tout entière.
Le Hezbollah prospère parce qu’il incarne, pour sa base, une forme de protection et de dignité que l’État n’a jamais su offrir.
Mais il n’est pas seul : d’autres groupes, à d’autres époques, ont eu leurs milices, leurs baronnies, leurs zones d’autonomie.
Cette logique du « chacun pour soi » empêche toute perspective de désarmement ordonné. Elle rend également la société libanaise vulnérable aux manipulations étrangères, aux cycles de sanctions et d’aides conditionnées, et à la tentation d’un « sauveur providentiel » venu de l’extérieur – sauveur qui, à chaque fois, n’a fait qu’accroître la dépendance et la fragmentation.
Pour l’heure, le débat sur le désarmement du Hezbollah ne fait que canaliser l’angoisse collective, sans offrir d’issue. Il fonctionne comme un exutoire politique et social, permettant à chaque acteur d’afficher sa « bonne volonté », tout en repoussant le règlement des vrais problèmes.
Mais cette fuite en avant a un prix : plus le Liban reporte l’inévitable – la refondation de son pacte social et politique, la restauration d’un État digne de ce nom -, plus il s’enferme dans la marginalité, la dépendance et le risque d’implosion.