Le triste 65eme anniversaire de l’Indépendance du Tchad

Les élections législatives de décembre 2024 au Tchad, assez largement boycottées, ont donné une très large majorité au Mouvement Patriotique pour le Salut (MPS). Alors que le pays fête le 65eme anniversaire de l’indépendance, les dirigeants du parti au pouvoir, conduit par Idriss Déby Itno qui s’est auto désigné à la tète de l’État après le décès de son père dans une forme inédite de putch familial, s’emploient à défendre la gestion exclusive du pays par un clan  recruté sur une base ethnique, tout en mettant en avant le mérite et la compétence comme seuls critères de nomination des élites tchadiennes.

Mohamed Youboue, correspondance

Face aux critiques contre la coloration ethnique de l’appareil d’Etat, le discours diffusé par le parti au pouvoir prétend que désormais les nominations aux postes de responsabilité privilégieront les compétences. Cette position parait conforme au programme du candidat Mahamat Idriss Déby Itno qui, pour améliorer la gestion des ressources humaines dans la fonction publique, avait promis que « le recrutement sur concours anonyme des postes clés devra promouvoir l’adéquation des compétences aux responsabilités exercées »…On en est loin!

Les engagements en faveur de « plus de justice et d’égalité entre les Tchadiens » contenu dans le programme du président proclamé élu le mai 2024, ne se sont pas traduites dans les 100 actions prévues d’ici 2029. Les nominations récentes dans la haute fonction publique et dans les entreprises montrent la main mise des deux régions d’origine du Chef de l’Etat, pas vraiment tes plus peuplées, sur les vint trois que compte le pays. 

Décisions arbitraires 

Les déclarations d’intention en faveur de l’excellence ne sont pas cohérentes avec le pouvoir discrétionnaire  sacro-saint du président de la république. En effet, les choix arbitraires n’ont pas leur place dans un système transparent de gestion des ressources humaines.

Le mode d’attribution des postes de responsabilités est loin d’être méritocratique. Les proclamations du Secrétaire Général du MPS, par ailleurs Ministre d’Etat, qui déclarait le 14 février 2025,  qu’il fallait abandonner le dogme de la répartition régionale des postes au profit du mérite. Les compétences des heureux élus ne sont pas connues, les CV n’étant pas diffusés.

A posteriori, les tchadiens découvrent à leurs dépens l’inadéquation de la plupart de ces parachutés à leur poste respectif, au regard des échecs des structures qu’ils dirigent ainsi que de l’enlisement de l’immense majorité de la population dans la misère. En effet, avec 44,8 % en 2022 le Tchad continue à figurer parmi les pays du monde au taux de pauvreté de leur population le plus élevé. En outre il demeure englué dans une corruption endémique.

Au cours de son entrevue télévisée signalée précédemment, le SG du MPS a reconnu que les nominations aux fonctions supérieures publiques reposent aussi sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Chef de l’Etat qui s’avère en réalité prédominant et arbitraire. Les dispositions constitutionnelles et du Statut de la fonction publique ainsi que les règles sur l’impartialité et la non-discrimination dans le recrutement et la promotion dans les entreprises sont de la sorte allègrement piétinées.

L’argent, le nerf de la domination

Dans le domaine bancaire et financier, à l’exception d’une femme, la seule, Directrice générale adjointe d’une banque, tous les responsables tchadiens (directeurs généraux, directeurs généraux adjoints, présidents des conseils d’administration) proviennent uniquement des deux provinces évoquées ci-dessus.

Les critères fixés pour être désigné à ces fonctions, imposés par la Commission bancaire en Afrique centrale (COBAC), ne sont pas véritablement respectés, notamment une expérience minimale de cinq ans dans une fonction d’encadrement de haut niveau. Les agréments nécessaires sont quasiment toujours accordés par la COBAC car l’ensemble des acteurs assurant la supervision de l’activité bancaire (Ministre des finances, membre tchadien du gouvernement de la BEAC et commissaires de la COBAC) ont des liens plus ou moins forts, directs ou indirects (familiaux, ethniques, politiques, religieux, etc.) avec les personnes proposées.  

Cette situation affecte la qualité de la supervision du système bancaire. Elle favorise une distribution biaisée de crédits au profit de personnes apparentées et ne remplissant pas toujours les conditions de prêts exigées, en contournant souvent la règlementationcommunautaire. Ce comportement qui participe à accroitre les inégalités économiques et sociales a entrainé une hausse significative des créances bancaires compromises. Si globalement la part des crédits en souffrance atteint 31,5 % des prêts effectués par le système bancaire tchadien en 2023, contre environ 17 % pour l’ensemble de la CEMAC, ce taux s’élève à 33 % pour les deux banques publiques.

L’inclusion, un vain mot

Cette dérive monarchiste, entamée dans les années 90, amplifiée par l’exploitation pétrolièrelancée fin 2003, s’est accélérée depuis la transition forcée de 2021 à 2024. Alors que la suprématie d’une minorité est au plus haut, il est demandé à l’immense majorité du pays d’entériner ce fait accompli. 

S’il est admis de parler globalement des inégalités socio-économiques, particulièrement de celles liées au genre qui servent à s’attacher le vote féminin, il est difficilement toléré de mentionner celle imputable aux décisions « politiques ». L’invisibilisation des tchadiens n’appartenant pas aux familles au pouvoir, est entretenue. Les références incantatoires au programme du candidat-présiden ne changeront rien à la perception des tchadiens qui ont appris que hors la Bible et le Coran tout n’est que paperasse (« kat kat sakit » en arabe local)!

L’exclusion est fortement ressentie par les jeunes dont l’accès aux emplois est fermé. Jetés dans le chômage et la misère, ils endurent mal les discours fades et nauséeux sur le vivre-ensemble et la cohésion nationale.

Les discriminations ne peuvent plus être acceptées dans un Etat prétendu républicain depuis le 11 août 1960. L’inclusivité intégrale pour tous les citoyens et citoyennes, exigence politique, morale et économique, ne doit pas rester un vœu pieu servi à souhait. Aussi, est-il est impérieux que les laoukouras et choukous (appellations locales des laissés-pour-compte)expriment leur indignation et réclament l’application immédiate de mesures simples et contrôlables d’équité et de justice sociale dans la gestion des ressources publiques nationales, notamment des emplois (procédures ouvertes et transparentes de désignation aux hautes fonctions, publication des CV des personnalités nommées, etc.).

Le Programme national de développement en voie de lancement ne devra pas être un nouveau chapelet de promesses peu ou prou convenablement élaborées. Pour faire autrement, il faut sincèrement mobiliser les tchadiens et les tchadiennes autour d’objectifs collectivement et sur des valeurs réellement partagées et mises en œuvre dont l’égalité et la solidarité.