L’écrivain égyptien Alaa al-Aswany (L’immeuble Yacoubian) vient d’écrire La République des fausses vérités, un roman qui parle de la révolution égyptienne de 2011, et des erreurs à ne plus commettre.
L’entretien entre Gilles Kepel et l’écrivain (voir la vidéo ci-dessous) porte sur son dernier roman paru Jumhuriyat ka’an (traduit en anglais sous le titre The Republic of the False Truths en 2021), récit qui prend pour sujet les révoltes du printemps arabe en Égypte. Alaa al-Aswany était lui-même un des acteurs des manifestations de la place Tahrir. Il a été l’une des rares personnalités à interviewer le Premier ministre nommé par Moubarak, Ahmed Shafik, sur une chaîne égyptienne en mars 2011. Shafik a perdu son sang-froid face à l’insistance du romancier et c’était la première fois que les Égyptiens voyaient un dirigeant se faire critiquer aussi sévèrement par un civil en public. La séquence est encore visible sur YouTube.
C’est émouvant d’entendre cet écrivain nous raconter que ces dix-huit jours de révolution ont été les plus beaux jours de sa vie, à tel point qu’à deux moments sur la place Tarhit, il a pensé qu’il rêvait. Il avait parlé des milliers de fois en public, mais parler chaque jour sur la place Tahrir, se rendre compte qu’on parle à un million de personnes, parfois deux millions, prêtes à mourir pour la liberté, c’est vraiment très différent: « Les Égyptiens avec qui j’ai vécu sur la place Tahrir, n’avaient rien à voir avec les Égyptiens avec lesquels je vivais auparavant. Ce sont sans doute les mêmes personnes, mais il s’est passé quelque chose de grand, d’unique. Ce que je ressentais était tellement fort, que j’ai eu l’intuition que j’allais en faire un roman. Mais pour écrire ce roman, j’avais besoin de distance, en termes de temporalité, et en termes de ressenti. Je n’ai pu commencer ce roman que cinq ans après la révolution. »
Il y a un moment très saisissant dans ce dialogue, quand l’écrivain parle des erreurs de la révolution. L’une de celles-ci a été de penser que la place Tahrir représentait l’Égypte dans sa totalité. Selon lui, ce n’était pas vrai. Les personnes sur la place représentaient peut-être 10 à 20 % de la population, et en face, il y avait aussi un ensemble de personnes qui défendaient l’ancien régime, sans doute le même pourcentage.
Mais, au milieu, il existait une masse très dangereuse, qu’il appelle la « masse passive ». En Égypte, elle était désignée comme le « sofa party », le parti du canapé, car ses membres s’assoient sur leurs canapés et regardent la télévision sans jamais se joindre à quoi que ce soit. Ce qui est arrivé, c’est que les contre-révolutionnaires sont parvenus à convaincre le « parti du canapé » que la révolution était une mauvaise chose et qu’elle n’aurait pas dû avoir lieu.
Pour l’écrivain, nous devons tirer les leçons de ces erreurs. Même si aujourd’hui la contre-révolution possède tout : les armes, les médias, l’armée, la police, il demeure très optimiste parce que le futur est selon lui, de leur côté : « Nous avons notre rêve de la révolution, de la justice et de la liberté, notre courage et notre volonté de sacrifice. Sur le long terme, j’en suis certain, que nous les battrons. C’est une évidence. »
Alaa al-Aswany vit aujourd’hui avec sa famille aux États-Unis, exilés. L’écrivain donne des cours de creative writings en anglais et en arabe. Voir son site.
Pour aller plus loin
Cet été, Al-Monitor et l’IMA ont eu la bonne idée de produire « Le feuilleton du Moyen-Orient », une série de 6 épisodes avec Gille Kepel. Fin juillet, par écran interposé, il s’est entretenu avec l’écrivain égyptien Alaa al-Aswany.
Voir la critique du roman de Alaa al-Aswany par Stephanie Merritt, « The Republic of False Truths by Alaa al-Aswany review – the personal cost of a failed coup », The Guardian, 18 avril 2021.