Le Hirak et le renouveau algérien: tel est le thème de la chronique d’ Abdelkader Latreche, sociologue et démographe
Depuis le déclenchement de la protestation et la mobilisation sociale en Algérie, au mois de février 2019, l’Algérie vit une nouvelle période de son histoire et cela indépendamment de ce qui a été réalisé politiquement. En effet, le hirak avec tous ses défis humains, organisationnels et structurels, dus en grande partie à son hétérogénéisation, la désertification du champ politique et à la difficile organisation de la société civile, a réalisé plusieurs acquis et ce malgré les contraintes voire les risques de l’action politique en Algérie depuis les années 90. Ces acquis à ce jour ne concernent pas directement la vie politique, car le hirak n’a pas participé d’une manière ou d’une autre aux dernières élections présidentielles. Il n’a aucune responsabilité dans l’ensemble des procès et arrestations de hauts responsables, car ces derniers sont avant tout le résultat des dommages collatéraux de « l’Algérie d’en haut ». Il n’a pas participé non plus à l’élaboration du contenu de la politique générale de l’actuel gouvernement.
Les acquis
Les acquis du hirak algérien ne sont donc pas politiques pour l’instant, mais ils sont peut-être plus importants que cela car ils concernent avant tout la dénonciation populaire généralisée à l’égard de la manière de faire la politique en Algérie. En effet, les manifestations continues des algériens, depuis le 22 février 2019, tournent autour du refus catégorique des algériens à voir leur pays être administré et géré d’une manière chaotique, despotique, autoritaire et sans vision du futur. Ce mode de gestion n’a généré que l’exclusion, le clientélisme, la corruption, la médiocrité, le désespoir, l’amertume et le gaspillage voire la dilapidation de l’argent public. S’ajoutent à cela la décrédibilisation des institutions de l’État d’une part, et la dégradation de l’image de l’Algérie à l’étranger d’autre part. C’est pourquoi il faut voir dans la prise de conscience populaire le principal acquis du hirak algérien.
Cette prise de conscience a incontestablement provoqué une rupture avec la sclérose sociale et politique qui a dominé l’Algérie depuis les années 90. En effet, « l’Algérie d’en bas » dans toute sa composante sociale, et même s’il est difficile de dire que toute l’Algérie soutient le hirak, a retrouvé la liberté qui lui avait été confisquée. Il s’agit tout particulièrement de la liberté de manifester, de la liberté de marcher dans toutes les villes, y compris à Alger où il était quasiment interdit de manifester en dehors des lieux clos et des hôtel. A cela s’ajoute la réappropriation de la parole, parole qui avait été confisquée malgré l’existence de plusieurs partis politiques, dits d’opposition, de dizaines de journaux et de TV privés. Ces institutions privées, de façade, ont contribué à spolier les algériens de la libre parole. Avec cet acquis ultérieur, prend corps le renouveau des échanges entre algériens, échanges qui viennent rompre avec les méfiances et les animosités qui s’étaient installées d’une manière étrange entre les algériens depuis 1990.
Un autre acquis du hirak consiste en l’adhésion générale des différentes composantes de la société à la mobilisation. En effet, le hirak est un mouvement de protestation nationale et populaire qui couvre l’ensemble du territoire national ; bien évidemment des disparités existent entre les villes et campagnes, sans toutefois que cela nuise à la mobilisation générale. Cela provient de l’unicité des revendications car toutes les villes et communes de l’Algérie connaissent les mêmes problèmes de non-développement, de clientélisme et de gestion, sans aucune distinction.
Le hirak a également prouvé qu’il est un mouvement national en réunissant toutes les catégories sociodémographiques, sans distinction liée au genre ou à l’âge. La participation générale de toutes les catégories de la population, à travers les 48 wilayas, atteste de cela. Cette mobilisation de toutes les composantes de la société trouve ses justifications naturelles dans le consensus entre les algériens autour des mêmes revendications (de justice, liberté et dignité comme en témoigne un des slogans du Hirak du 12 octobre 2019), et leur unanimité quant au diagnostic du malaise algérien. Une unanimité qui ne fait que renforcer leur adhésion continue au hirak, et légitime leur présence tous les vendredis. C’est pourquoi le hirak constitue réellement un mouvement national de mobilisation. Ce mouvement national ne peut être qu’une chance pour un renouveau algérien. Mais ce renouveau exige l’adoption de nouvelles modalités et de nouveaux procédés afin de répondre aux demandes et aux défis des prochaines étapes du changement nécessaire.
La marche future de l’Algérie ne peut se faire sans rupture avec le système politique et administratif qui domine en Algérie depuis 1962 et sans modification de l’actuel paysage politique. Les partis politiques, ou du moins une grande partie d’entre eux, ont prouvé leur incapacité à répondre aux défis de l’Algérie, voire même à avoir un objectif constat. C’est pourquoi le champ politique ne peut que se nourrir des mobilisations du hirak et de ses acteurs pour constituer plus que des contre-pouvoirs susceptibles de veiller à toutes les formes de dérives du pouvoir, afin de ne pas réitérer les mauvaises expériences d’hier. Cela suppose la marche vers une meilleure structuration voire une réelle organisation du hirak. Car le hirak, tout en maintenant sa capacité de mobilisation populaire, ne peut se contenter éternellement des manifestations de rue. Il doit s’organiser d’une manière ou d’une autre afin de pouvoir contribuer ouvertement à la vie politique et plus particulièrement à la gestion des communes, des wilayas et des autres assemblées. Il s’agit donc de participer aux différentes élections : communales, de wilayas et législatives, car il l’enjeu c’est le futur de l’Algérie et le devenir des nouvelles générations, comme en témoigne un des slogans du Hirak.
C’est cela l’enjeu essentiel pour un réel renouveau de l’Algérie. Renouveau qui s’appuiera sur le respect du choix du peuple lors de toutes les futures élections en Algérie. Bien évidemment le renouveau de l’Algérie ne peut reposer uniquement sur les stratégies des uns et des autres ; il suppose l’existence d’une vision du futur et de ressources humaines intègres et aptes à assumer des responsabilités politiques dans ce sens.