Le Hezbollah au cœur du bras de fer américano-iranien

Dans ce bras de fer larvé entre l’État libanais et le Hezbollah, les États-Unis jouent un rôle déterminant en coulisses. Washington, qui a parrainé l’accord de cessez-le-feu de 2024 au Liban, entend désormais s’assurer qu’il soit pleinement appliqué. Pour l’administration du président Donald Trump, revenue aux affaires début 2025, le désarmement du Hezbollah est devenu un objectif affiché de sa politique au Liban.

En visite à Beyrouth début avril, la diplomate américaine Morgan Ortagus, envoyée spéciale adjointe pour le Moyen-Orient, a multiplié les déclarations fermes. « Il est clair que le Hezbollah doit être désarmé le plus vite possible », a-t-elle insisté dans une interview à la LBCI, ajoutant que l’armée libanaise était tenue de remplir cette mission sans tarder. Ortagus a averti que les États-Unis « continueront de faire pression sur le gouvernement » pour qu’il respecte pleinement la cessation des hostilités, y compris en démantelant toutes les milices armées. Elle a même comparé le Hezbollah à « un cancer » qu’il faudrait extirper du Liban pour permettre au pays de retrouver sa souveraineté et la paix.

Cette fermeté américaine s’accompagne de mesures de pression multiformes. Sur le plan diplomatique, le sujet Hezbollah est désormais central dans les échanges entre Washington et Beyrouth. Sur le plan économique, l’aide financière internationale indispensable au Liban (notamment pour la reconstruction post-conflit) est conditionnée à des réformes, mais aussi à des avancées concrètes sur le contrôle des armes. D’ores et déjà, l’armée libanaise – perçue comme le partenaire légitime pour sécuriser le sud – a reçu un soutien accru en équipements et formations. Parallèlement, les États-Unis maintiennent un régime de sanctions sévères contre le Hezbollah et ses réseaux financiers, cherchant à tarir les sources de financement de la milice. Cette campagne soutenue traduit l’impatience croissante de Washington face à ce qui est perçu comme une stratégie libanaise de temporisation. Chaque jour sans progrès tangible sur le désarmement est vu par certains à Washington comme un jour gagné par le Hezbollah pour se réorganiser.

Dans ce jeu d’influences, l’Iran occupe évidemment une place majeure en arrière-plan. Le Hezbollah, créé et soutenu par Téhéran depuis des décennies, s’aligne en grande partie sur la ligne stratégique iranienne. Or, en ce printemps 2025, les relations entre l’Iran et les États-Unis sont de nouveau à vif autour de la question nucléaire. Des négociations indirectes ont bien repris ces derniers mois – on a même annoncé des pourparlers techniques en cours à Oman en vue d’un éventuel accord – mais le fossé demeure profond entre les exigences de Washington et celles de Téhéran. Le président Trump, qui avait dénoncé l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 lors de son premier mandat, a durci le ton : il menace explicitement d’attaquer l’Iran si aucun nouvel accord empêchant la République islamique d’acquérir l’arme atomique n’est conclu rapidement. Dans ce climat tendu, le discours offensif de Naïm Kassem à Beyrouth apparaît en écho des positions intransigeantes de Téhéran. Comme un message du régime iranien aux Occidentaux, la direction du Hezbollah fait savoir qu’elle ne cédera rien sur le terrain tant que la pression sur l’Iran perdure. Certains analystes y voient un moyen pour Téhéran de renforcer son levier de négociation : en jouant la carte du Hezbollah – ou du moins en affichant une posture inflexible par procuration – l’Iran rappelle qu’une déstabilisation du Liban et une reprise des hostilités avec Israël sont possibles si ses propres intérêts ne sont pas pris en compte.

Des informations de presse non confirmées font même état de discussions au sein de l’appareil sécuritaire américain sur d’éventuelles frappes préventives contre l’Iran. L’objectif serait de neutraliser les « capacités de nuisance » de Téhéran, c’est-à-dire son programme nucléaire et ses relais régionaux comme le Hezbollah, dans l’hypothèse d’un échec de la diplomatie. Ces spéculations alimentent l’inquiétude à Beyrouth : une confrontation ouverte entre Washington et Téhéran aurait immanquablement des répercussions dramatiques sur le Liban, qui pourrait redevenir un terrain d’affrontement indirect entre l’Iran et les États-Unis.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)