Le collectif contre l’islamophobie dans le viseur de Gérard Darmanin

Dans le cadre de la guerre contre le terrorisme engagée par le président français, Emmanuel Macron, après l’assassinat d’un enseignant par un terroriste tchétchène, le ministre de l’Intérieur, Gérard Darmanin veut interdire le collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), « un ennemi de la République » selon cet homme politique pourtant d’origine algérienne par son grand père.

Entre une plainte contre mediapart et sa dénonciation des rayons « communautaires » dans les grandes surface, le ministre de l’Intérieur, croisé de la guerre contre le terrorisme, plaide pour l’interdiction du Collectif contre l’islamophobie en France

A entendre la plupart des médias français du journal matinal de France Inter au JDD ou à Europe 1 durant le week end, le ministre français de l’Intérieur aurait réuni un lourd dossier contre le CCIF (Comité Contre l’Islamophobie en France) pour justifier son interdiction. Le crime? Des déclarations contre son fondateur sur les réseaux sociaux dénonçant le droit au blasphème et s’en prenant au contenu des caricatures publiées par Charlie Hebdo. En quoi la défense de de telles positions s’inscrirait dans l’apologie du terrorisme? La liberté d’expression ne .suppose-t-elle pas un plaidoyer en faveur du respect des croyances de chacun?

Notons qu’un grand intellectuel comme Edgar Morin a défendu ces positions dans le Monde avec le talent et la finesse intellectuelle qui sont les siens. Quant au blasphème, il est prohibé dans des pays aussi démocratiques que l’Italie et l’Espagne.

Espérons que le Conseil d’Etat, grand défenseur des libertés en France, censurera le projet de loi liberticide du croisé qu’est devenu le ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron

Naissance d’une « beurgeoisie »

Le Collectif contre l’Islamophobie s’est fait remarquer ces dernières années par des revendications identitaires défendues sous des formes parfaitement attendues dun « lobby » bien organisé. « Tenue de soirée exigée » peut-on lire sur le carton d’invitation à ce  « rendez-vous exceptionnel » au Pavillon Wagram. Avec ses 800 mètres carrées sur trois niveaux, ses baies vitrées art déco ouvertes à la lumière du jour et à une vue imprenable sur l’Arc de Triomphe, le pavillon est une des salles les plus huppées de l’événementiel parisien, « l’espace par excellence dédié aux entreprises et aux particuliers exigeants »[1]. Le soir dit, une foule d’élégants barbus et de femmes en drapés chatoyants se presse aux portes de la salle de réception. Ils sont plus de 350 à prendre place aux tables nappées de blanc qui accueillent le dîner gala annuel de soutien du CCIF, le Collectif Contre l’Islamophobie en France.

On reconnait aux premières loges quelques personnalités médiatiques : Mireille Fanon-Mendès France, le chercheur Pascal Boniface, Rokhaya Diallo, Alain Gresh (Monde Diplomatique) ou encore Houria Bouteldja la porte-parole du Parti des indigènes de la République. Mais la plupart des invités qui ont payé 200 euros pour entrer appartiennent à une petite « beurgeoisie » parisienne mobilisée autour du CCIF depuis 2003.

Un espace alternatif

Ce collectif qui dit n’appartenir à aucun courant politique ou religieux s’est créé sous le nom d’« Association de défense des droits de l’homme » pour réagir à la montée des déclarations hostiles aux musulmans dans l’espace public. Pas question de devenir les otages passifs des passions politico-médiatiques. Comme le souligne les sociologues Marwan Mohammed et Abdellali Hajjat auteurs d’un ouvrage très documenté sur l’islamophobie, « Ce n’est donc pas un hasard si les fers de lance de la lutte contre l’islamophobie sont nés en France, souvent diplômés, acteurs associatifs et qu’ils maitrisent notamment l’outil numérique. Ils ont créé un véritable espace alternatif de mobilisation contre l’islamophobie. C’est une génération qui a retenu les leçons des échecs des précédentes luttes de l’immigration, qui mise sur l’indépendance, se saisit de l’arme du droit et de la communication. »[2] En treize ans d’existence, le collectif qui compte 700 adhérents et 8 antennes régionales, a réussi à mettre en œuvre une stratégie médiatique performante, en pointe pour défendre une présence musulmane dans la société civile au-delà des questions de culte.

Que le patron de l’UMP, Jean François Copé, dénonce qu’un collégien puisse se faire arracher des mains son goûter pendant le ramadan, le CCIF organise une distribution gratuite de pains au chocolat à la gare Saint_Lazare, le 10 octobre 2012.

Que Marine Le Pen compare les prières de rue à une nouvelle occupation, le collectif dépose plainte le 31 janvier 2011 et obtient la levée de l’immunité parlementaire de la députée européenne.

Que le Figaro s’en prenne à un « collectif contre l’islamophobie aux méthodes contestées », le journal est poursuivi pour diffamation et condamné.

Mais le CCIF s’est surtout fait connaître par le sérieux du rapport annuel qu’il publie sur un bilan et une cartographie des actes islamophobes. Son réseau national qui s’appuie sur les nouvelles technologies – en particulier une application pour smart-phones et tablettes – lui permet d’être alerté[3] en temps réel, d’apporter une assistance juridique aux victimes et de mobiliser les soutiens. Ces derniers se multiplient, et au-delà des adhérents et des donateurs qui peuvent bénéficier d’une déduction fiscale – le CCIF a été reconnu comme association d’intérêt général en juin 2011 – ce sont aussi certains poids lourds [4] de la finance qui lui apportent leur aide. Mais c’est d’abord la qualité du travail du CCIF qui en fait un partenaire incontournable des institutions. Ses statistiques font référence auprès du conseil de l’Europe, de l’Agence des Droits Fondamentaux (FRA), ou de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération. Même l’ONU reconnait la qualité du travail du CCIF qui peut se prévaloir d’un statut Consultatif au sein du Conseil Economique et Social. Ajoutons que la méthodologie du CCIF a été exportée dans plusieurs pays européens pour établir une plateforme statistique contre l’islamophobie.

Marwan Mohamed, un pionnier

Cette montée en puissance du CCIF aura été le fait de son parte parole entre 2010 et 2014, Marwan Mohammed. Né en 1978, ce franco-égyptien enfant de la Goutte d’Or est un petit génie de la statistique. Il travaille comme trader sur les marchés de la finance pendant cinq ans avant de quitter la banque pour s’investir dans le milieu associatif. Depuis septembre 2014, il est conseiller auprès du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme[5]. Et personne ne s’étonnera que le CCIF bénéficie encore de son réseau.

Le diner gala est une sorte de vente de charité avec des enchères concernant des tableaux comme d’autres lots. Soudain dans cette kermesse apparait le visage d’un homme qui met en jeu un déjeuner en sa compagnie. On reconnait Tarik Ramadan, « le Georges Clooney de l’Islam », selon l’animateur de la soirée qui ne manque pas d’humour.

Devra-t- on compter, demain, avec cette nouvelle identité musulmane, qui oscille entre militantisme et religion? Ou le discours porté par cette organisation esil l’antichambre du terrorisme? Apparemment Emmanuel Macron et son ministre de l’Intérieur ont tranché pour la seconde option. Sous le coup de l’émotion?


[1] www.lieuxdemotions.fr/lieux/pavillon-wagram

[2] Rue 89, 4/08/2013. Entretien avec Marwan Mohammed, coauteur de « L’islamophobie », La découverte 2013. Précisons que le sociologue est un homonyme du porte parole du CCIF

[3] 2536 sollicitations pour l’année 2015 mais le CCI  n’a comptabilisé “que” 905 actes, pour lesquels un marqueur islamophobe a été saisi dans sa  banque de données

[4] Ni le Qatar ni aucun gouvernement musulman contrairement à la rumeur, mais en particulier le milliardaire américain George Soros, qui  par le biais de sa fondation Open Society, accorde 35 000 euros au CCIFfin octobre 2012 pour sa campagne Nous sommes la Nation, destinée à « dénoncer les préjugés, les attitudes islamophobes et les discours stigmatisants. La somme reste néanmoins très modeste, vu la polémique que ce financement a suscité, en particulier dans les colonnes du Figaro.

[5] Service de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe,  chargé des questions d’islamophobie dans les pays membres de l’organisation

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)