Quand le massacre de Sétif ternit la victoire contre le nazisme

Le 8 mai 1945, alors que la victoire des Alliés sur le nazisme est célébrée sur tout le territoire algérien, la répression par les forces françaises d’une manifestation indépendantiste fait des milliers de morts dans la région de Sétif, à 300 km à l’est d’Alger

Une chronique de Cherif Lounès 

Pour fêter le 8 mai 45 au sortir de la guerre contre le nazisme, des manifestations sont organisées dans une dizaine de villes surtout de l’Est dans le Constantinois. À Sétif pourtant, la manifestation qui se voulait pacifiste tourne à l’émeute lorsqu’un commissaire de police abat un très jeune garçon Saal Bouzid, un scout en tête du cortège à Sétif portait le drapeau nationaliste vert et blanc frappé en son milieu en rouge du croissant et de l’étoile. (Témoignage de Germaine Tillon).

C’est aussi ce que l’on peut lire dans le rapport de la commission Tubert du nom du colonel qui la présida. Elle était chargée de procéder à une enquête administrative sur ces événements qui se sont déroulés le 8 mai 45 et les jours suivants. Extrait : « À Sétif, le 8 mai, alors que la population s’apprêtait à fêter la fin des hostilités, de sanglants incidents se déroulaient… Des émeutes éclataient par la suite dans le département du Constantinois, prenant le caractère, dans certaines régions, d’un véritable soulèvement. De nombreuses victimes étaient sauvagement massacrés… »

Une centaine de Français assassinés

Lors des violences commises par les manifestants (assassinats, viols, incendies de fermes et écoles), 103 civils européens périssent . La communauté juive nombreuse dans le Constantinois et dont la présence remonte à plusieurs siècles a été épargnée. En réaction une terrible répression totalement disproportionnée va s’abattre sur la région de Sétif à Guelma par l’armée française de terre, air, mer et par des milices de colons qui s’étaient constituées dans un premier temps pour appuyer des policiers et des gendarmes largement en sous effectifs. 

Pour ces milices tout musulman était considéré comme suspect et risquait d’être abattu. C’est ce qu’a précisé P. Fayet membre de l’Assemblée consultative le 11 juillet 1945 selon le Journal Officiel qui rapporte ses propos : « A l’assassinat des Européens ont succédé en grand nombre des exécutions sommaires de musulmans simplement douteux… L’Europeen possédait, en fait, le droit de vie et de mort sur les musulmans. ».

Un autre membre de cette Assemblée consultative E. Fajon précise le 11 juillet 1945 que : « le sous préfet Achiari avoue plusieurs centaines d’exécutions sommaires dans le secteur de Guelma ».Quant à la répression militaire ce sont des opérations de ratissage qui sont menées par l’armée de terre appuyée par l’aviation et par la marine. Selon le rapport Tubert : « Les troupes, sous le commandement du général Duval, qui est à la tête de la Division Territorial de Constantine, ont dû intervenir. ».

Les bombardements par l’aviation de dizaines de villages et les canonnades de la marine de guerre vont créer la désolations et la mort de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants dans toute la région du Constantinois jusqu’au village de Kherrata. 

Entre 1340 et 50000 victimes algériennes

Les chiffres du nombre de victimes musulmanes varient, de 1340 morts, selon la commission Tubert, à 45000 selon les nationalistes algériens. Plus communément on admet celui de 15 à 20000 selon différentes sources. Germaine Tillon dans son livre « Les Ennemis Complémentaires » retient le chiffre de 15 à 45000 morts.  

En métropole en pleine festivités de la Libération, peu de réactions ou de commentaires sur ce drame. L’algérien futur prix Nobel de littérature Albert Camus, meurtri par cette nouvelle fracture entre les populations d’Algérie, sera l’un des rares à avoir exposé lucidement le problème politique majeur qui se posait par les événements dramatiques de Sétif. Dans une série d’articles parus dans le journal de la résistance « Combat » dont il était rédacteur, il demande pour les algériens autochtones le « régime démocratique dont jouissent les français ». Il précise que le « peuple arabe existe » et qu’il « n’est pas inférieur sinon par les conditions où il se trouve ». Camus qui depuis ses articles de 1939 sur « Misère en Kabylie » dénonce la misère, le dénuement, la famine, écrit « la crise la plus apparente dont souffre l’Algérie est d’ordre économique ». Pour lui « l’Algérie et ses habitants sont à conquérir une seconde fois par la force infinie de la Justice » en accordant l’accession aux droits civils et politiques. Il veut une égalité sociale effective. De leur côté les nationalistes algériens demandent une autonomie.

Le général Duval commandant la répression du 8 mai 45 à Sétif écrit à ses supérieurs : « Je vous ai donné la paix pour dix ans ; si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable. »

Mais les réformes et les mesures d’égalité entre tous les citoyens en Algérie ne viennent pas et dix ans après le massacre de Sétif un déclenchement armé mené par le FLN (Front de Libération Nationale) se produit le 1er novembre 1954 qui aboutira à l’indépendance du pays le 5 juillet 1962. 
En 2005 l’ambassadeur de France à Alger reconnaît « une tragédie inexcusable » et en 2015 le Secrétaire d’Etat aux anciens combattant ira déposer une gerbe au pied du mausolée du jeune scout Saal Bouzid tué par un policier ce qui déclenchera les émeutes de Sétif. 

Chérif Lounès