Même s’il n’est encore que candidat à la candidature, Laurent Gbagbo, en ce 10 mai 2024, a été envoyé en mission par la Convention de son parti pour porter les couleurs du PPA-CI lors de l’élection présidentielle prévue l’an prochain, en Côte d’Ivoire.
Norbert NAVARRO
Il reste à Laurent Gbagbo un dernier obstacle à franchir avant de pouvoir se porter officiellement candidat : obtenir l’amnistie. Le président Alassane Ouattara l’a certes gracié, mais cette libéralité mesurée est insuffisante pour effacer de son casier judiciaire la marque d’infamie de sa condamnation par défaut à vingt ans de prison que lui a infligée la justice ivoirienne dans l’affaire dite du « casse de la BCEAO », en 2011 à Abidjan. A la suite de cette condamnation, pour laquelle plusieurs de ses co-accusés dans la même affaire ont déjà été amnistiés, le nom de l’ex-chef de l’Etat a été rayé de la liste électorale. Les militants du PPA-CI vont à présent livrer bataille pour que l’honneur et la dignité de leur chef soient lavés, afin de pouvoir, en 2025 offrir aux Ivoiriens la possibilité de librement choisir leur futur président, lors d’une joute électorale à laquelle participerait le soldat Gbagbo.
Gbagbo, le cauchemar d’Houphouët
La scène se passe en 1988. Après quelques cinq ans d’exil en France, l’opposant Laurent Gbagbo fait face à ce vrai Commandeur de la Côte d’Ivoire qu’est son premier président, l’ancien député français et constitutionnaliste de la Vème République, Félix Houphouët-Boigny. Au crépuscule de la Guerre froide, dans un geste de réconciliation qui marquera l’histoire de cette alors balbutiante République ivoirienne, le père de la nation daigne recevoir son turbulent opposant. Dans les années 1980, Laurent Gbagbo était le cauchemar d’Houphouët. Répression, sanctions, prison, rien n’a eu raison de la détermination de ce militant de gauche à combattre le régime de parti unique. En ce mois de septembre 1988, pour immortaliser le geste magnanime du chef de l’Etat envers le trublion Gbagbo, Félix Houphouët-Boigny prononcera, dit-on, une formule qui entrera dans la légende : « l’arbre ne se fâche pas contre l’oiseau qui se pose sur la branche ».
Deux ans plus tard, l’oiseau a gagné, le multipartisme a droit de cité, en Côte d’Ivoire. Depuis 1990, nul ne l’ignore dans le pays, le « Gbagboïsme », c’est le multipartisme. Dix encore, et l’oiseau va devenir arbre. En 2000, Laurent Gbagbo est élu président d’une République en crise, et qui n’a cessé de l’être depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny, le 7 décembre 1993. On connaît la suite.
Un parcours du combattant
Alors ? Alors, en 2025, les Ivoiriens auront-ils la possibilité de tracer un trait entre les années Houphouët et un regain futur? Pourront-ils clore enfin cette parenthèse de trois décennies de tensions politiques qui continuent d’effaroucher les investisseurs étrangers, en dépit du formidable potentiel économique du pays ? Le président Ouattara, dont l’entourage laisse entendre qu’il pourrait l’an prochain présenter sa candidature à un quatrième mandat (après un troisième mandat initialement jugé inconstitutionnel par l’un de ses proches, l’éminent juriste Cissé Bacongo), va-t-il ou non amnistier Laurent Gbagbo pour lui permettre de se porter candidat à la présidentielle ? N’est-il pas dans l’intérêt de la France, ancienne puissance coloniale, d’en finir avec cette tension politique persistante dans le pays clé-de-voute de la zone franc, en permettant à Gbagbo de livrer son ultime combat ?
Des barbouzeries à répétition entre 2000 et 2004, à l’interminable procès en sorcellerie devant la Cour pénale internationale qui se conclura par son acquittement, en passant par la farce électorale de 2010 et la meurtrière crise qui s’en est suivie, rien n’aura été épargné à Laurent Gbagbo pour le réduire. En Vain.
Tidjane Thiam, le candidat de Macron
Chrétien de l’ouest de la Côte d’Ivoire, partageant désormais sa vie avec Nadiana « Nady » Bamba, musulmane pratiquante originaire du nord, jouissant d’un capital-sympathie à tout le moins aussi vivace dans l’est ou le sud du pays, le soldat adoubé par la Convention du PPA-CI « coche toute les cases », remarque un de ses proches. De quoi provoquer des suées à ses adversaires potentiels ?
Après la mort, en août 23, de l’ex-président Henri Konan Bédié, son parti, le PDCI-RDA, s’est donné pour chef le banquier Tidjane Thiam, qui devrait probablement être lui (aussi?) un très sérieux candidat à la prochaine présidentielle. Pas sûr toutefois que sa proximité assumée et même affichée avec Emmanuel Macron et les agapes qu’à l’Elysée, le président du PDCI a récemment partagées avec le chef de l’Etat français -photos sur Instagram et Facebook à l’appui- soient de nature à convaincre l’électeur ivoirien de voter pour lui l’an prochain. Dans une Afrique de l’ouest en pleine ébullition, à l’heure où la jeunesse locale renverse les pouvoirs dans les urnes ou la rue, se réclamant des idées qui ont forgé la légende de l’historien Gbagbo et pour lesquelles il a osé tenir tête à Houphouët, sa candidature, c’est le moins que l’on puisse dire, irait dans le sens de l’Histoire.
Un printemps de Gbagbo…
« Redevenir président n’est pas pour lui une fin en soi, assure à Mondafrique son directeur de cabinet. Peut-être qu’il veut corriger une injustice qui lui a été faite. Il n’y a personne de mieux placé que lui-même pour mener ce combat ». Constatant à son tour qu’en Afrique de l’ouest, « ce sont ses idées qui triomphent, » l’insubmersible animal politique entend les porter. » Les Ivoiriens méritent mieux que ce qu’on leur impose », complète Emmanuel-Auguste Ackah. Ragaillardis par la Convention du parti, militants et sympathisants du PPA-CI, en ce mois de mai 24, veulent y croire.
L’arbre a plié, mais n’a pas rompu.