L’aide au développement de l’Afrique produit l’effet inverse de celui dont le continent a besoin. Il s’agit de gouvernements et d’administrations orientés vers l’intérêt général, qui travaillent dans l’intérêt des gens et non contre eux.
Kurt Gerhardt, journaliste allemand, était dans les années 1980, Délégué de l’ancien Service des Volontaires Allemands (DED) au Niger, en Afrique de l’Ouestallemand
Pour le développement de l’Afrique, il est assez peu important de savoir qui dirige les ministères compétents dans les capitales européennes et ce qui est inscrit dans les budgets nationaux. Ceux qui pensent le contraire surestiment l’influence des pays industrialisés sur le développement économique de nos voisins du Sud. Cela dépend de bien d’autres choses que de nos idées et de nos décisions.
Pour le développement africain, il est de loin plus important que les gens exploitent leurs propres possibilités humaines et matérielles, qui sont immenses – et loin d’être utilisées.
Une énorme richesse
Si, depuis des décennies, les pays d’Asie se lancent les uns après les autres dans de nouveaux sauts de développement – comme actuellement le Vietnam et le Bangladesh – mais qu’on ne peut pas en dire autant de l’Afrique, surtout des États subsahariens, c’est essentiellement parce que les peuples d’Afrique laissent faire des gouvernements qui n’ont pas grand-chose à voir avec le bien-être des gens, mais surtout avec le leur et celui de leurs clans. L’Afrique ne produit pratiquement pas de biens qui puissent être vendus sur le marché mondial.
Mais si les Asiatiques peuvent le faire avec beaucoup de succès, pourquoi les Africains ne le peuvent-ils pas, alors que depuis soixante ans, ils ont reçu de notre part bien plus d’aide au développement que les Asiatiques ? Ceux qui disent qu’il faut comprendre cela, que c’est culturel et que c’est dû au colonialisme, disent des bêtises – et ont tendance à être racistes.
L’énorme richesse en ressources de l’Afrique s’est largement infiltrée, le plus visiblement dans les poches de la classe politique, qui se sert sans vergogne depuis des décennies du produit de la vente des richesses minières. La fille de l’ancien président angolais Dos Santos est considérée comme une milliardaire en dollars. Les députés ougandais se sont récemment autorisés à dépenser trente millions de dollars pour de nouvelles voitures. Le vice-président de la Guinée équatoriale a acheté un yacht de haute mer pour son plaisir personnel pour 120 millions de dollars. De tels exactions sont légion. On peut les lire dans les « Panama Papers » et les « Pandora Papers ».
Ce serait toutefois une erreur de croire que l’abus de ressources publiques est l’apanage des cercles supérieurs. La corruption touche toutes les couches de la société. Les puissants en tirent le plus grand profit, les impuissants le moins. Mais il est incompréhensible que les pauvres subissent avec léthargie les agissements démesurés de leurs exploiteurs.
Les chances d’évolution sociale sont également gâchées par d’autres déperditions. L’entretien est encore largement méconnu en Afrique. L’état des routes l’illustre particulièrement bien. Les dommages causés par les camions qui tonnent sur les routes parsemées de nids de poule entraînent à eux seuls des coûts énormes. L’argent nécessaire manque ailleurs. Des routes en mauvais état sont une catastrophe pour le transport de marchandises périssables, dans le pays et à l’étranger.
Autre exemple de gaspillage massif d’argent : les pannes régulières de l’approvisionnement public en électricité, particulièrement gênantes en période de canicule.
La mauvaise gestion engloutit une grande partie de la richesse nationale. L’Etat du Niger s’est permis de construire un viaduc routier dans la capitale Niamey pour l’équivalent de 64 millions d’euros – dans un pays où de nombreux enfants ne peuvent pas aller à l’école en raison du manque d’enseignants et de bâtiments scolaires. Le Niger a dépensé plus de cent millions d’euros en juillet 2019 pour l’organisation d’un sommet de deux jours de l’Union africaine.
Corruption rampante
Si l’Afrique cessait de gaspiller ses ressources et les utilisait plutôt intelligemment, elle pourrait offrir des perspectives aux jeunes sans espoir qui veulent traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Europe. Mais pour y parvenir, il faudrait également mettre fin au train-train qui règne dans tous les domaines de la société. Il faudrait d’urgence une meilleure planification, une application conséquente, un travail plus approfondi, de la fiabilité et de la constance. Cela fait défaut partout.
Il faut des gouvernements et des administrations orientés vers l’intérêt général, qui travaillent dans l’intérêt des gens et non contre eux. Mais rien de tout cela ne sera possible si la corruption généralisée n’est pas endiguée. Et sans renoncer à des taux de natalité irresponsables.
Ce sont des choses sur lesquelles nous n’avons aucune influence, mais que les sociétés africaines doivent réaliser elles-mêmes. Si elles ne l’ont pas fait depuis longtemps – contrairement aux Asiatiques -, c’est essentiellement parce qu’elles vivent depuis trop longtemps de cadeaux : des ressources naturelles, de l’aide au développement et des transferts de fonds des Africains de l’étranger. Les cadeaux permanents paralysent l’initiative personnelle.
Nous nous sommes beaucoup trop impliqués. Et nous continuons à le faire. Une part importante de notre aide au développement consiste en des violations du principe de subsidiarité, la loi fondamentale de toute assistance : aider en cas de besoin, mais ne pas remplacer une prestation propre.
Prenons l’exemple des voies de communication, un thème récurrent du développement africain. Lorsque nous réparons ou remplaçons des routes devenues impraticables faute d’entretien, nous ne respectons pas la subsidiarité – car les Africains pourraient faire ces travaux eux-mêmes, même s’ils prenaient plus de temps avec une technique plus simple et une plus grande intensité de travail. Il en va de même pour les liaisons ferroviaires qui ne fonctionnent plus parce que les États ont manqué d’entretien et de maintenance des réseaux et des machines.
Une augmentation de notre aide au développement aurait donc un effet contraire à celui dont l’Afrique a besoin. Ce n’est pas avec l’aide au développement que l’on mettra fin à la situation grotesque d’une gigantesque mauvaise gestion des ressources et d’une pauvreté de masse. Au contraire, on le consolide. L’apprentissage des vertus décisives pour le succès économique ne coûte rien. Ce n’est pas une question d’argent, mais de volonté.
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