Le Sahel est l’un des enjeux majeurs de la mondialisation, mais hélas passe totalement inaperçu dans le débat politique français, éclipsé par le drame ukrainien
Une chronique de Xavier Houzel
Tout le monde veut s’approprier le Sahel. Le Sahel est un joyau que l’Algérie et le Maroc convoitent (et que briguait la Libye de Kadhafi), mais dont la plupart des pays d’Afrique subsaharienne revendiquent la possession. C’est le plus grand désert du monde. Il était autrefois l’apanage des grands empires continentaux : au Nord-Ouest, l’Empire chérifien, qui comprenait le Maroc, la Mauritanie et une partie du Mali actuel, et, au Centre, l’Empire de Songhaï, sillonné, dans sa partie Nord (à partir de Gao), par les Touaregs, les Toubous et les Peuhls. Lorsqu’il y a neuf ans, François Hollande a décidé de combattre à lui tout seul le terrorisme au Sahel (en commençant par le Mali), il aurait fallu qu’un officier des Affaires Indigènes puisse lui expliquer de quoi il retournait, mais les Spahis n’existent plus depuis belle lurette et le président Hollande prit cette expédition au Mali pour une excursion dans la banlieue ! À peu près comme Nicolas Sarkozy avec la Libye (à l’origine du sinistre) ! Ce double héritage de ses prédécesseurs était pour Macron, plus qu’un challenge, un défi impossible.
Le Mali actuel est composé à son tour de deux sous-ensembles ayant très peu de choses à voir l’un avec l’autre, celui de Gao (Songhaï) et celui de Bamako, ville noire qui est le siège de l’ancien Empire Mandingue, lequel englobait de grandes parties de la Guinée, le Sénégal, la Gambie, le Burkina Faso, et le Sud de la Mauritanie et qui connut son apogée au XIV e siècle : grosso modo, le Mali a deux cultures. Les Peuhls et les Dogons s’y écharpent en permanence. Le terrorisme a bon dos.
À la suite de l’Opération Serval, qui fut un succès, les soldats de l’Opération Barkhane, qui avaient à couvrir également les pays d’à-côté, eurent affaire avec une multiplicité d’organisations internationales : ils ne pouvaient plus aller que des unes aux autres au milieu d’une pétaudière. Les armes et les rebelles dévalaient de Libye comme la mérule ! L’ancien ministre du président Hollande, Jean-Yves Le Drian, un transfuge passé de la Défense à la Diplomatie, capable de communiquer par signes avec ses Frères, avait été repêché par la République en Marche ! La DGSE, ayant un ambassadeur pour maître-espion, lui emboîtait le pas. Le jeune président ne pouvait que faire confiance à de tels sachants. Dans son ouvrage « Le piège africain de Macron », l’excellent journaliste Antoine Glaser va tout dire !
De Gaulle avait songé à laisser à la France le Sahara (élargi à d’autres recoins du Sahel), pourtant déjà un nœud de trafics de drogues, d’esclaves, d’armes et d’épices, à la fois trop-plein de rage et d’appréhension (déjà un facteur de radicalisation) et carrefour de migrants. Mais à cette époque, c’était un océan de paix que De Gaulle renonça à conserver (alors qu’il aurait pu le garder mais pour le préserver), en pensant gagner le pari de la décolonisation. Voici ce qu’il disait en 1961 : « La décolonisation est notre intérêt et par conséquent notre politique. Pourquoi resterions-nous accrochés à des dominations coûteuses, sanglantes et sans issue, alors que notre pays est à renouveler de fond en comble ?[i] » Depuis, chaque potentat, chaque Frère de chaque État africain a son Russe ou son Américain, son Chinois ou son Israélien et le plus souvent les quatre, habillés de la même gandoura. Bref, que voulez-vous que fît Macron dans cette vaste loge ouverte à tous les vents ?
En 2021, une junte est mise au pouvoir à Bamako pour couper définitivement les ponts avec l’ancienne puissance coloniale : elle se jette dans les bras de mercenaires russes, d’émissaires turcs, de diplomates iraniens et d’hommes d’affaires chinois. Lorsque le président américain annonce qu’il retire les GI’s d’Afghanistan avant de leur faire quitter plus ou moins le Moyen-Orient pour se vouer à l’Amérique d’abord (America first), son homologue français décide d’en faire autant pour s’occuper de la France d’abord. Les évènements d’Ukraine vont lui donner raison. Il n’y a là ni amateurisme ni arrogance.
Les effets secondaires de sa courageuse décision, hélas, apparaîtront très vite. Les rats, qui sont des créatures intuitives, quittent le navire en perdition avant que celui-ci ne sombre : le Groupe Bolloré, dont la filiale de logistique « a le marché » des troupes spéciales françaises de l’Opération Barkhane, y compris celui – tout juste reconduit – de son retrait, cède les ports d’Afrique à une entreprise maritime italo-israélienne. C’est un adieu abominablement frustrant.