La période de transition démocratique en Tunisie après la révolution de 2011 a connu plusieurs acquis en matière de droits de l’homme, dont la compétence de la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples actée en 2017. Cette juridiction a été saisie par maitre Brahim Belghith, l’auteur de cet article, et avec succès. Un arrêt du 22 septembre 2021 va condamner le régime du président Kaïs Saïed pour violations des droits de l’homme.
Ces acquis ont été consacrés dans les textes mais sans ancrage institutionnel dans la sphère publique qui vit dans un abus permanent des droits politiques et civiques élémentaires
Brahim Belghith, avocat auprès de la Cour de Cassation Tunisienne, de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des peuples et de la Cour Pénale Internationale

Trop peu connue, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples est une cour continentale établie par les pays africains pour assurer la protection des droits de l’homme et des peuples en Afrique. Elle complète et renforce les fonctions de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.
Parmi les acquis de la transition démocratique des années 2011-2019 mal connus du public mais aussi des juristes fut la décision de la Tunisie d’accepter la compétence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples de statuer sur les allégations de violations des droits de l’homme. Cet évènement passé presque inaperçu lors du mandat du feu le Premier ministre Beji Kaid Essebsi en 2017 est un révolutionnaire pour le système des droits de l’homme tunisien mais aussi nord-africain. Ce fut la première fois qu’un État arabe accepte la compétence d’une Cour spécialisé en Droits de l’homme. Et à un niveau de protection jamais atteint dans la région.
En absence d’une Cour constitutionnelle pour remédier aux abus présidentiels dans la Tunisie de Kaïs Saïed, l’avocat Brahim Belghith va ester devant la Cour Africaine et faire condamner la Tunisie.
Le dispositif de l’arrêt
La Cour dans son arrêt condamne la Tunisie pour avoir violé :
- Les droits à l’accès à la justice et au procès équitable
- Le droit de chacun de participer à la direction des affaires publiques de son pays
- Le droit aux garanties des droits de l’homme
Et ordonne à l’état défendeur notamment le retour à la démocratie constitutionnelle dans un délai de 2 ans
L’intérêt de l’arrêt
- C’était la première fois que la Tunisie est condamnée par la Cour Africaine
- Cet arrêt condamne le changement inconstitutionnel des pouvoirs perpétué par le président Kais Said la Cour a même occasionnellement vérifié à juste titre la constitutionalité des textes émis par le président de la République la Cour Africaine est occasionnellement un remède à l’absence d’une Cour constitutionnelle, une Cour qui n’a pas vu le jour jusqu’à aujourd’hui.
- La cour condamne d’une façon ferme le coup d’état ce qui est assez rare en Afrique ou on est passé pour les champions du monde des coups d’état c’est la tendance cette dernière décennie.
- Cet arrêt dans un sens a recadré la démocratie et les droits de l’homme comme une question juridique et juridictionnelle et pas seulement politique
Les Effets de l’arrêt
- L’arrêt même s’il n’est pas le premier recours devant la Cour Africaine il a permis sa découverte par le grand public, les médias et même beaucoup de juristes le nombre d’affaire portés devant la Cour s’est nettement multiplié même si la recrudescence des violations du régime explique aussi ce phénomène
- L’arrêt a clos le débat des sourds sur la constitutionalité et l’irrespect de l’article 80 de la constitution de Kais Said au moins d’un point de vue théorique et juridique.
- A part Le parlement européen qui s’est référé à l’arrêt dans son communiqué de boycott des élections législatives de 2023 et l’union parlementaire internationale y fait aussi référence dans quelques décisions, les gouvernements et les institutions européennes ont totalement ignoré l’arrêt. Bien évidement ce n’est pas l’information qui a fait défaut mais d’une part le vent d’extrême droite et de populisme qui souffle sur l’Europe fait qu’ils préfèrent fermer les yeux sur les aberrations, les violations des droits de l’homme et l’illégitimité de Kais Said et son régime en contre partie des ses services de garde-frontières permettant de réduire la migration irrégulière, le cheval de bataille de ces mouvances politiques. D’autre part ils préfèrent garder la compétence voire le monopole de qualifier ce qui est respectueux et ce qui est contraire aux droits de l’homme pour mieux instrumentaliser la matière dans leurs relations avec les régimes africains.
- Les autorités tunisiennes ont déposé une seule fois un rapport pour l’exécution de l’arrêt pour d’ailleurs motiver son inexécution mais ils n’ont surtout jamais communiqué sur l’arrêt.
- Une demande d’ordonnance concernant l’exécution de l’arrêt est en cours devant la cour. La conférence des présidents et des chefs des gouvernements de l’union africaine est l’organe compétant pour prendre les mesures de nature à faire respecter les décisions de la Cour.
La réaction des autorités tunisiennes
Les autorités tunisiennes n’ont pas obtempéré et on a gardé le silence dans un premier temps d’où la question de l’opportunité de ce contentieux peut être légitime à quoi bon se donner la peine d’ester devant la Cour Africaine si ses arrêts ne sont pas respectés par les autorités en place question assez requérante quand il s’agit de Cour ou institutions international à notre sens la Cour Africaine reste d’une importance conséquente pour plusieurs raisons notamment :
- Il s’agit d’une Cour de droits de l’homme avec des magistrats expérimentés et compétents qui émis des ordonnances et des arrêts dont l’exécution reste juridiquement une obligation pour l’état même en absence de moyens coercitifs
- La condamnation de l’état pour violations des droits de l’homme par la Cour est une forme de justice même partiellement pour la victime qui a besoin qu’il soit reconnu en tant que tel et qui va in fine avoir gain de cause pour le principe et l’histoire
- Les arrêts de la Cour africaine peuvent être une forme de justice transitionnelle précoce c’est-à-dire une fois le contexte politique liberticide est changé les victimes n’attendrons pas la mise en place d’un processus de justice transitionnelle pou
- L’exécution des arrêts de la Cour seront un critère sérieux avec toutes autorités nouvelles qui prétendrait rompre avec les violations des droits de l’homme
- Même si les autorités en place font mine d’ignorer les décisions de la Cour ces décisions rendent le régime encore plus infréquentable et mettent les gouvernements et les institutions européennes qui traitent avec ce régime en embarras au moins devant leurs opinions publiques même si les changements et les horreurs dans le monde profitent au régime Kais Said, il a comme même décidé le retrait de la déclaration déposée par la Tunisie en 2017 pour accepter la compétence de la cour africaine pour statuer sur les allégations des personnes physiques et les associations pour violations des droits de l’homme.
Le retrait de Tunisie fermeture de parenthèse ?
Cette décision déposée le 07 avril 2025 à la présidence de l’union africaine est condamnée et critiquée par la société civile tunisienne et internationale. Le régime en place après avoir mis la justice interne au pas en anéantissant son indépendance institutionnelle et individuelle vient de barrer la route des justiciables tunisiens à un recours stratégique devant une cour qui n’a jamais exécuté ces décisions signe de sa mauvaise fois. Ce retrait est une atteinte notable au droit à l’accès à la justice pourtant constitutionnellement et conventionnellement protégé et une violation au principe de la non-régression des droits de l’homme consacré notamment dans l’article 55 de la constitution tunisienne qui impose la forme d’une loi pour toute restriction des droits de l’homme.
La décision est aussi objet de recours devant la Cour Africaine qui décidera si elle restera un recours refuge pour les violations incessantes de ce régime ou qu’elle va sacrifier les garanties des droits de l’homme sur l’autel de la souveraineté des états pour rester politiquement correcte comme elle a déjà opté dans une jurisprudence antérieure.