Le 8 décembre 2024, la situation en Syrie s’est retournée en l’espace de quelques jours sans coup férir. Presque aucun coup de feu n’a été tiré. Une ribambelle de groupuscules jihadistes (entre 20 et 30 groupes) principalement d’obédience Frères Musulmans, alliés à des survivants de Al Qaeda et de Daech (EI), soutenus par la Turquie d’un côté et Israël de l’autre avec probablement un financement qatariote et un parrain (manipulateur ?) lointain, les USA. La Syrie est revenue aux mains de sunnites après un demi-siècle de dictature alaouite (d’obédience chiite).
Un article d Malek El Khoury, essayiste, patron d’une entreprise commerciale, très engagé dans la société civile libanaise, qui est établi entre Beyrouth, o^il vit principalement, et Genève
Le régime de Bachar El Assad n’a offert aucune résistance. Ni l’armée, ni les services de renseignements, ni le très brutal et tristement célèbre frère de Bachar, Maher, avec ses troupes spéciales n’ont agi ou réagi. Les alliés du régime déchu, la Russie, l’Iran, l’axe de la Résistance (Hezbollah (HA) ou le Haschd ech Chaabi irakien) n’ont pas non plus réagi, ni aidé à part quelques belles paroles.
Cela ressemble étrangement à une pièce de théâtre préparée à l’avance, avec un producteur/metteur en scène, deux acteurs principaux et quelques accessoiristes ayant tous participé à la mise en scène de cette tragi-comédie. Cela a été trop vite pour que l’on ne puisse pas imaginer un « coup monté », qui paraît s’être déroulé comme un conte de fées. D’ailleurs toutes les informations qui ont circulé indiquent que cette bataille se prépare depuis plusieurs mois. Il fallait attendre le feu vert pour appuyer sur le bouton.
Il est venu dès qu’un « cessez-le-feu » a été signé au Liban. Le rideau s’est levé sur la scène, dès le lendemain de la signature de cet accord (pour employer un terme plus exact, un « mandat » américano-français) par HA au Liban. Après le génocide des Palestiniens, autorisé, encouragé et financé par le monde occidental, l’affaiblissement considérable de l’Axe de la Résistance et de l’Iran lui-même.
Un « nouveau Moyen Orient »
Peu importe comment la Syrie s’est renversée, ce sont les conséquences de cette action qui sont importantes. C’est un énorme pas en avant que la Pax Americana a franchi avec ce coup de force, un de plus dans l’avancée américaine, c’est-à-dire, la mise en place dans nos régions troubles de ce « Nouveau Moyen-Orient », dont ils rêvent depuis plusieurs décennies. Mais, c’est aussi un grand risque que prennent les Américains avec cette « victoire » facile.
Les acteurs sont nombreux avec des agendas non seulement différents, mais parfois contradictoires. La Turquie et Israël n’ont pas les mêmes objectifs. Les Kurdes et les Jihadistes encore moins. Les Jihadistes entre eux non plus. Certes, les ennemis des USA sont affaiblis, mais sont loin d’avoir disparu de la carte. Ni l’Iran, ni HA, ni la Russie, ni l’Axe de la Résistance n’ont disparu. La Chine est restée prudente durant toute cette période. Même les Alliés, comme l’Arabie Saoudite est restée silencieuse. Israël a son propre agenda (le Grand Israël, « du Nil à l’Euphrate ») qui ne correspond pas nécessairement à celui des américains à moyen ou long terme.
Un bouleversement général
Les répercussions sur les pays voisins et lointains sont encore totalement inconnues et peuvent être aussi très grandes. Je résume très succinctement (une liste à la Prévert) les conséquences potentielles de ce changement de statut en Syrie :
- En Syrie même. La transition risque de ne pas se passer aussi pacifiquement que cela en a l’air jusqu’à maintenant. Les divergences entre les factions jihadistes, les velléités d’autonomie des kurdes, les réminiscences de l’ancien régime, les occupations turque et israélienne sont tous des facteurs de déstabilisation potentielle ;
- L’Irak craint que cette vague jihadiste ne se répercute chez eux. Les factions irakiennes de l’axe de la résistance craignent des frappes israéliennes, soutenues par des composantes locales anti-iraniennes. De même l’Irak pourrait craindre une résurgence de l’EI ;
- HA craint lui aussi d’être combattu autant de l’intérieur, à travers les réfugiés syriens au Liban, ou par un renforcement de l’opposition politique libanaise ou par des bombardements israéliens qui occupent (de manière illégale) le Mont Hermon qui surplombe le Liban ;
- Le Liban craint évidemment que si le scénario précédent a lieu, dans le but de porter le coup de « grâce » à HA, que cela ne provoque non seulement des soucis sécuritaires incontrôlables, mais un semblant de mini guerres civiles. Sans oublier que le jihadistes ont pris le contrôle (côté syrien, évidemment) de tous les postes frontières avec le pays, qui souffre déjà de problèmes politiques, économiques, financiers énormes. En plus les Israéliens qui occupent encore une partie du territoire libanais ne semblent pas vouloir quitter à la fin des 60 jours prévus depuis l’instauration du nouveau mandat ;
- L’Iran craint encore une frappe israélienne potentielle sur son infrastructure nucléaire ou autre. De même des troubles intérieurs, avec un changement potentiel de régime ;
- La Jordanie craint également autant la contagion du Jihadisme chez eux, que de l’annexion de la Cisjordanie par Netanyahou, dès la prise de pouvoir de Trump et le renvoi de milliers de Palestiniens vers la Jordanie ;
- La Turquie, acteur essentiel et principal de ce renversement de régime, craint des conflits d’abord avec les Kurdes, ensuite des tensions avec Israël, qui, depuis le Mont Hermon, peut observer tout mouvement suspect au moins jusqu’au Sud de la Turquie, mais aussi avec l’OTAN et les USA ;
- Israël même, qui a complètement détruit l’infrastructure militaire syrienne, et occupé de nouvelles terres en Syrie où il compte rester au moins jusqu’à fin 2025 peut s’attendre à un nouveau front (peut-être que même il le souhaite ?) ;
- Les pays du Golfe qui voient d’un mauvais œil l’apparition de Frères Musulmans, leur bête noire, au pouvoir à Damas, avec le soutien de tout le monde occidental, USA en tête, leur principal allié. Comment feront-ils pour « financer » la reconstruction de la Syrie et que feront-ils des ex-Qaeda et ex-Daech libérés ?
- La Russie craint d’être chassée de ses 2 bases militaires syriennes (Humaymim et Tartous). Elle vient d’annoncer que la GB et les USA viennent d’armer l’EI pour mener des opérations « terroristes » contre ces deux bases ;
- L’Europe qui craint de voir revenir chez eux des prisonniers politiques (de nationalités européennes) qu’ils avaient qualifié de terroristes (anciens Al Qaeda, EI, Frères Musulmans, etc.). Si de nouveaux troubles importants venaient à s’installer de nouveau en Syrie, une nouvelle vague de réfugiés pourrait se rajouter aux précédentes et leur statut sera encore indécis, alors que l’Europe est en train justement de considérer ne plus vouloir accorder la protection aux anciens réfugiés vu leur reconnaissance du nouveau pouvoir ;
Beyrouth / Genève le 29.12.24