Loin de l’hypocrisie putride des ramasseurs de fretins, il ne peut y avoir de changement du système sans passer par des conflits éventuellement durables, car aucune partie n’est réellement prête à abandonner. Il en est autant du passage de l’autoritarisme vers l’islamisme que vers la démocratie.
par Bachir Djaider, journaliste et écrivain
Un constat est à faire. Aucune transition n’a encore abouti dans les pays arabes. Tous les pays arabes qui disaient s’être engagés dans un processus de démocratisation n’ont jamais pu faire aboutir ce régime. Pourquoi ce ratage ?
D’abord, aucun pouvoir en place n’a admis d’accepter de s’appliquer le processus d’euthanasie politique. Il est prêt à élaborer lui-même les réformes politiques selon sa propre conception et à en conduire lui-même leur mise en œuvre. Bien entendu, il les conduira selon le rythme qu’il aura défini lui-même. Même le contenu du concept de démocratie sera défini par lui-même. Peut-on être juge et partie ? Apparemment non en termes de stabilité et de sécurité, car aucun pays arabe engagé dans une transition n’a connu de période sereine. Nous disons bien aucun.
Durant cette phase de transition, les lois en vigueur ne changent pas à la même vitesse que les mutations politiques qui voudraient court-circuiter les différentes étapes indispensables à l’apprentissage des acteurs et des populations. Pour les personnalités et les partis politiques d’opposition, le modèle de fonctionnement de la démocratie est à puiser dans les pays occidentaux. Bien entendu, ils ne tiennent pas compte que ces pays ont des siècles de fonctionnement proche de la démocratie. Le Parlement britannique a plusieurs siècles d’existence.
Des phases de transition dangereuses
Les phases de transition sont les plus dangereuses, car rien ne correspond à rien, en termes de planification. On ne peut pas planifier ce qui est autre que technique. L’Algérie est passée par là. L’Egypte est dans un cheminement périlleux. La Tunisie n’en est pas sortie. La Syrie, la Libye, le Yémen, l’Irak sont affalés aux entrailles du cataclysme. Les pays du Golfe n’en sont pas immunisés. Le Maroc non plus. D’ailleurs, l’offre des pays du Golfe à la Jordanie et au Maroc de rejoindre le CCG (Conseil de coopération du Golfe) est un signe probant de l’immense peur que leurs populations ne réussissent à renverser le régime politique.
Au regard des pays qui ont initié la démocratisation sous la contrainte, c’est l’islamisme qui en profite et non la démocratie. Passage obligé ? Deux déterminations s’affrontent dans les pays arabes. Un véritable bras de fer. Les populations ne veulent pas céder. Il leur faut la tête des « tyrans », agrafés au trône. En face, il y a lesdits « tyrans » qui tentent d’amadouer le peuple, pour certains, pour d’autres, c’est les représailles et autres exactions.La soif du pouvoir obnubile à telle enseigne que les présidents et rois du monde arabes acceptent, toute honte bue, d’apparaître pour longtemps comme les bourreaux de leurs peuples ? Combien de morts faudrait-il pour que ces satrapes s’en aillent ? Entre le Président et le système, il faut sauver le système. Il leur faut contrôler le processus de transition politique. Les mutations ethno-linguistiques, de surcroit, distillées dans un processus d’assimilation effréné ont accouché des atrocités que d’aucuns ne peuvent nier.
La menace islamiste est plus que jamais d’actualité
Une telle mutation alimente une peur diffuse, une appréhension irrépressible devant ce qui s’annonce comme une imminente catastrophe. Cette idéologie réactionnaire s’installe doucement et sûrement en Algérie. L’islamisme a toujours existé dans le monde arabo-musulman. C’est l’utilisation de l’Islam comme idéologie politique dans les luttes de libération nationale par les élites nationalistes. Dans les années soixante-dix et quatre-vingts, il devient le refuge ostentatoire, l’expression des spoliés, des marginalisés et des « mal identifiés », mais il occupe en fait trois espaces, celui du mouvement social, le terrain politique (la stratégie révolutionnaire de l’Etat islamique) et celui de l’imaginaire (l’utopie politico-religieuse). L’islamisme fait rêver le jeune chômeur en lui proposant un système très simple dans lequel il y a une solution à tous les maux et où chacun trouvera sa place. Le phénomène de la radicalité se banalise, et qui a pris une telle dimension qu’elle nécessite une intelligibilité au croisement du politique.
La société algérienne, notamment kabyle est à la proie d’un nouveau comportement moralisateur. Des individus à la solde de l’islamisme se voient investis d’une mission pour défendre Allah vaille que vaille. Jouer au sermonneur est devenu un sport national. Châtiment corporel, brimades, insultes…Tous les moyens sont bons pour un retour au puritanisme. Des jeûneurs roués de coups, des filles faisant le jogging se voient martyriser, des femmes non-voilées lardées d’épigrammes…Jusqu’à quand ces brocards et ces harcèlements incessants cesseront-ils ? Le retour au puritanisme est justifié par ses promoteurs par un retour à la morale et à la pudeur. Diantre ! Peut-on parler de morale aujourd’hui ? Celle-ci s’apparente à une nostalgie réactionnaire.
L’indifférence des uns et l’insouciance des autres ne font que conforter la conviction des islamistes à asseoir leur « califat », principe de souveraineté théologico-politique en islam. L’offre radicale répond à une fragilité identitaire en la transformant en une puissante armure. Lorsque la conjonction de l’offre et de la demande se réalise, les failles sont comblées, une chape est posée.
Il en résulte pour le sujet une sédation de l’angoisse, un sentiment de libération, des élans de toute-puissance. Il devient un autre. Les failles identitaires ouvrent un boulevard à l’islamisme, de surcroit, inoculé à doses létales. Les traumatismes historiques ont une onde de propagation très longue, surtout lorsqu’une idéologie les relaye auprès des masses. Des générations se les transmettent de sorte que des individus se vivent en héritiers d’infamies, sachant les faits ou pas. L’islamisme comporte la promesse d’un retour au monde traditionnel où être sujet est donné, alors que dans la civilisation moderne, l’individu est une superproduction de lui-même qui l’oblige à un travail harassant. Il faut en avoir les moyens. Certains jeunes préfèrent aujourd’hui l’ordre rassurant d’une communauté avec ses normes contraignantes, l’assignation à un cadre autoritaire qui les soulage du désarroi de leur liberté et d’une responsabilité personnelle sans ressources. Tel est le danger qui plane sur la planète Algérie.