La « normalisation » de la violence armée au Sahel

Les bulletins d’information ressemblent à s’y méprendre à des bulletins de guerre, le triste décor de notre actualité quotidienne.

Mauro Armanino, Niamey

Nous glissons vers ce qu’il y a de plus terrible dans la vie, à savoir la « normalisation » de la violence armée comme seul système de résolution des conflits entre citoyens, classes sociales, pays, religions, cultures et intérêts. À chacun sa guerre, pourrait-on dire.

L’un des signes indéniables de ce phénomène est la croissance des dépenses militaires dans tous les pays qui peuvent se le permettre. Après une légère contraction des dépenses à la suite de la fin de la guerre froide et de la disparition temporaire de l’Union Soviétique, on s’est rendu compte qu’il était encore plus difficile d’être sans ennemi que d’en avoir un. La guerre globale contre le terrorisme, l’axe du mal, les Etats voyous et surtout la remilitarisation justifiée par cette guerre sans fin, ont entraîné une nouvelle ruée pour armer plus, mieux et surtout avant l’ennemi. Ce dernier est partout, forcément. Les armes, la guerre et la peur sont de bons ingrédients pour relancer l’économie, contrôler les mouvements « dangereux » et se justifier d’être au pouvoir pour des décennies.

La guerre dans le Nord global, l’Occident civilisé, l’infâme conflit au Moyen-Orient, les guerres sur le continent africain, parfois loin des regards indiscrets des médias, et la guerre au Sahel, dont les racines les plus proches sont la destruction intentionnelle de la Libye en 2011. De ce pays alors doté d’un des systèmes sanitaires, éducatifs, agricoles et économiques parmi les plus performants d’Afrique, on a exporté des armes, de la rage et des groupes armés bien formés par des années d’entraînement. 

L’argent et les guerres font bon ménage.

Des groupes armés financés par ceux qui y avaient intérêt se sont progressivement implantés dans la région du lac Tchad et dans la partie occidentale du Sahel. Les anciennes revendications autonomistes, l’arrivée de groupes formés par des idéologies salafistes exportées d’Arabie Saoudite, le Katar et d’autres entités affiliées, les troubles locaux et les divisions latentes ont créé un mélange qui s’est avéré « explosif ». En effet, les intérêts idéologiques, religieux, politiques, commerciaux et de pouvoir ont trouvé un terrain fertile dans l’absence de l’État, la crise économique et le démantèlement des structures culturelles de gestion des conflits. Le sentiment de frustration des groupes ethniques et des jeunes a organisé le reste.

C’est ainsi qu’est née, en cours de route, l’opération française Serval, remplacée ensuite par l’opération Barkhane et soutenue plus tard par la Cédéao, les Nations Unies et l’Union européenne. La conséquence de cette saturation d’armes, d’argent, de militaires, d’intérêts divergents a été la multiplication des groupes armés et des économies de guerre.  Au milieu de tout cela, les peuples, les civils, ceux qui, habitués à se battre pour leur survie quotidienne, se sont vus encerclés, menacés et dépossédés de leur avenir. C’est ainsi que les militaires, forts de leur poids économique et politique accru ces dernières années, avaient de bonnes chances de s’installer au pouvoir. Non sans la promesse de protéger les citoyens et de débarrasser définitivement les pays des forces obscures du mal qui gangrènent la vie politique et sociale de tous et les intérêts de ceux qui comptent. Nous ne connaissons pas l’avenir, mais le contexte nous laisse penser que ce processus ne sera pas aussi rapide et efficace que prévu. La conséquence la plus palpable dans la vie quotidienne des villes est la présence visible de la militarisation de la vie sociale. Les affiches, la propagande des réseaux sociaux et la rhétorique du langage font la une.

Des mots comme combat, libération, mobilisation populaire citoyenne, engagement patriotique, dignité, souveraineté non négociable, indépendance totale… la patrie ou la mort. En plus la présence de militaires armés et non armés, dans les hôpitaux, les aéroports, les routes et le contrôle des trafics ont militarisé la vie politique et civile de la Région. 

Balayé par le vent du désert, l’« Harmattan » béni, la militarisation du Sahel redeviendra poussière.

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