Dans sa chronique sur RFI le 26 janvier, Jean Baptiste Placca a admirablement mis en cause le mirage de la démocratie en Afrique, à propos notamment des élections en république démocratique du Congo
Certains ont qualifié les élections présidentielles en RDC d’historiques? Qu’en pensez vous?
Dans toute son acception, le qualificatif « historique » peut se concevoir dans un sens positif, glorieux, comme il peut prendre un sens plus péjoratif, et même négatif. En l’occurrence, celles des pages de l’histoire qui s’écrivent ou se bâtissent sur le mensonge sont rarement glorieuses. Alors, oui, le sens de la semaine historique à laquelle se réfèrent les uns et les autres, ici, peut varier en fonction du côté de l’histoire où se situe chacun. D’autant que ceux qui sont du mauvais côté de l’Histoire, en général, le reconnaissent rarement.
Seul le temps finit par trancher, et il tranche sans concession… Vous aurez noté que cette semaine a démarré par une troublante réunion entre Européens et Africains, à Bruxelles. Une réunion qui a, pour l’essentiel, consisté à prendre acte de la validation des résultats de la présidentielle par le Conseil constitutionnel de RDC. Il se trouve que les pages les plus sombres de l’histoire de l’Afrique indépendante se sont écrites dans l’abandon des convictions, dans la démission et même, parfois, dans une forme de trahison qui consiste à prétendre prendre acte du fait accompli, de l’inacceptable.
Depuis bientôt soixante ans, l’on ne cesse de prendre acte, sur ce continent : des coups d’Etat ; des dictatures ; des violations des droits de l’homme ; des scandales divers, et même de la corruption. Prendre acte du sous-développement, en l’habillant de mots, comme si cela suffisait à atténuer les souffrances des peuples. Et l’on continue de prendre acte des manifestations réprimées dans le sang, avec leur cortège de morts que l’on se refuse même parfois de dénombrer, a fortiori d’admettre. Et l’on a pris acte des hôpitaux-mouroirs, comme d’une fatalité descendue du ciel. Et l’on prend acte de ce qu’il n’y a jamais pénurie de gaz lacrymogène pour réprimer les manifestations, alors que l’on oublie si souvent d’approvisionner en compresses, en alcool à brûler, en aspirine, dans les hôpitaux vers lesquels afflueront les populations blessées dans ces manifestations.
Pourquoi déplorez-vous que l’on prenne acte de tout ce contre quoi l’on ne peut rien ?
Justement parce que ce n’est pas ce contre quoi l’on ne peut rien, mais ce contre quoi l’on ne veut rien tenter. Ainsi des régimes interminables : 20 ans par-ci, 25, 30 par-là, 50 ans, et même plus, en se passant le pouvoir en famille. De quelle calamité n’a-t-on pas pris acte, sur ce continent, depuis les indépendances ? L’on a même pris acte des déchets toxiques, déversés sur des dépotoirs sauvages disséminés dans les capitales.
Et pourquoi ne prendrait-on pas acte d’une passation de pouvoir arrangée, dans un cynisme assumé, dont le temps finira par dire les motivations. Dans cette litanie de l’affliction, l’on se demande, certains jours, pourquoi donc Laurent Gbagbo est détenu à La Haye, alors qu’il aurait suffi, en décembre 2010, de prendre acte de sa réélection, pour épargner quelque 3 000 vies. Pourquoi donc lui avoir refusé ce que l’on avait laissé faire à une multitude de chefs d’Etat en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest ? Après tout, nous croisons bien, encore aujourd’hui, quelques éternels leaders de l’opposition, qui sont autant de chefs d’Etat élus par leurs peuples, mais à qui l’on a refusé de transmettre le pouvoir. Faut-il qu’il soit vraiment malchanceux, pour s’être vu ainsi opposer une telle puissance de feu, de la part de la même communauté internationale, qui refuse, aujourd’hui, d’assumer ses propres constats et ses premières prises de position, ses doutes clairement affirmés sur les premiers résultats de la présidentielle congolaise, finalement validés.
Quel rapport entre Laurent Gbagbo et le cas congolais ?
Laurent Gbagbo a ou bien joué de malchance, ou alors, c’est Martin Fayulu qui manque du type de soutien dont pouvait bénéficier Alassane Ouattara, l’adversaire de Laurent Gbagbo, en 2010-2011. Ce qui reviendrait à dire que la communauté internationale a un attachement bien capricieux à l’état de droit et à la démocratie, et que ses exigences de justice obéissent davantage à de bien mystérieux calculs qu’à des principes rigoureux et indéfectibles.