La démocratie en Iran, une coquille vide

L’abstention et le vote blanc montrent de sérieuses failles dans le contrôle du régime sur le peuple iranien

Un article d’Hamid Enayat

En Iran, le boycott des élections présidentielles est une expression d’une désapprobation importante de la politique du régime. Parmi les électeurs, le pourcentage sans précédent du vote blanc est également une forme de protestation contre le régime et son Guide Suprême.

Ce manque de confiance et ce désagrément populaire ont atteint leur niveau le plus élevé et ont conduit à une dichotomie négative entre le peuple et le gouvernement iraniens. L’ex-président iranien Mohammad Khatami a commenté le pourcentage d’abstention qui dépasse 50% et le pourcentage élevé du vote blanc, en les qualifiant d’événement important et en se demandant : « si ce n’est pas un signe de consternation, de déception et d’insatisfaction des iraniens vis-à-vis du gouvernement, que pourrait-il être ? Et que peut-il révéler ? »

Selon les chiffres officiels, 62% des électeurs se sont abstenus aux dernières élections présidentielles. Ce taux élevé renvoie aux élections législatives de mars 2009 auxquelles 62% des iraniens éligibles, soit 33 millions personnes, n’ont pas voté. Ces taux de participation faibles ont été prévisibles vu la dégradation en continu des conditions de vie de la plupart des iraniens.

Le nombre des électeurs doit être inférieur à dix pour cent.

Moins de 10% d’électeurs

L’historique des médias pro-régime connus pour leurs statistiques imprécises et leur non-transparence, citons entre autres les déclarations relatives à l’accident de l’avion ukrainien, le nombre des morts lors du soulèvement général de la mi-novembre 2019, et aujourd’hui le nombre des atteints au covid-19, soulève des doutes quant aux chiffres annoncés sur les récentes élections. L’opposition iranienne déclare que, selon 1200 rapports de 400 villes iraniennes et des milliers de vidéos et de photos enregistrés dans différentes circonscriptions électorales, le nombre des électeurs donné par des statistiques officielles, est cinq fois supérieur au nombre réel. Et le nombre des électeurs doit être inférieur à dix pour cent.

Selon les chiffres publiés par le régime, 4 millions des électeurs ont voté blanc. Ces personnes ont fait tamponner leurs pièces d’identité que par crainte d’intimidation, d’interrogatoires voire de sanctions. Sous ces contraintes, ceux-ci ont opté pour l’option du vote blanc. Il est à noter qu’un grand nombre des bulletins blancs provenaient du corps des Gardiens de la révolution, des forces paramilitaires des Basij et des militaires qui voient la faiblesse et le désespoir du Guide Suprême et qui n’ont plus confiance en lui.

Cette action réfléchie entreprise par une partie de la population iranienne est la première depuis l’institution du régime des mollahs en Iran, qui dépend de leur soutien depuis quatre décennies.

Appel au boycott des élections

Avant les élections présidentielles, le Guide Suprême Ali Khamenei a émis une fatwa qui considère le vote un devoir religieux et l’abstention un grand péché qui sera pénalisé dans l’ici et l’au-delà. Cependant, la propagande du régime, ses intimidations, ses promesses creuses, ses pots-de-vin et ses autres abus n’ont pas retenu le peuple de boycotter ces élections.

Une fatwa qui émane du Guide Suprême et qui rencontre de l’indifférence de la part du peuple aura comme conséquences l’affaiblissement du pouvoir législatif religieux de Khamenei, la perte en efficacité du système des fatwas et la montée de l’influence de l’opposition. Une telle situation est une alarme pour Khamenei et son régime.

L’opposition iranienne, le Conseil national de la résistance iranienne, affirme que ses unités de résistance se sont rapidement développées dans tout l’Iran depuis le soulèvement de la mi-novembre 2019 et ont diffusé avec succès le message de boycott des élections parmi la population.

En effet, les trois quarts des habitants de la grande ville de Téhéran et les deux tiers des habitants de la province de Téhéran se sont abstenus aux élections présidentielles. Ce qui fait un taux de non-participation de 70% dans la province de Téhéran et de 80% dans la ville de Téhéran.

Selon l’Agence de presse Estudiantine d’Iran ISNA, 70% des votes dans la province de Téhéran étaient des bulletins nuls et blancs. Pourtant, les médias pro-régime ont annoncé que l’élection présidentielle était une victoire pour la République Islamique. Ces chiffres traduisent à la fois l’insatisfaction et la méfiance populaires élevées envers le régime, et la force et le pouvoir qu’acquièrent les voix des iraniens vulnérables quand elles sont unies. Ainsi, les iraniens se sont tenus pair à pair face aux quelques institutions gouvernementales monopolistes du pouvoir.

Un taux sans précédent de votes blancs aux élections municipales

Cette année, les élections municipales et des conseils locaux se sont tenues parallèlement aux élections présidentielles. A cet effet, Le taux de participation était inférieur de 75% par rapport aux élections précédentes. L’un des faits marquants des élections municipales et des conseils locaux a été le nombre des votes blancs. Au conseil municipal de Karaj, les bulletins blancs ont été en tête aux élections. En effet, le dépouillement des votes a relevé 38 888 bulletins blancs, soit environ 16 000 votes de plus que le premier candidat élu.

C’est un record historique des votes blancs et nuls en Iran. Dans certaines métropoles comme Karaj, Arak et Hamedan, les votes blancs occupent la première place. A Téhéran, les votes blancs arrivent en deuxième position.

Et si on suppose que nous choisissions de fermer les yeux sur le taux d’abstention élevé, les chiffres des taux de participation très bas s’avèrent alarmants, par exemple, Téhéran a connu un taux de participation de 26%. Et étant donné que les régions périphériques suivent souvent les tendances de la capitale, le taux de vote dans ces régions sera similaire à celui des habitants de Téhéran.

La troisième force, une réalité ?

Le sociologue et professeur à l’université de Téhéran, Azad Armaki, déclare : « ça fait un ou deux ans que je fais allusion à une troisième force dont les candidats ne sont ni les factions réformistes ni fondamentalistes du régime, mais un autre candidat. Ce sont ceux qui votent des bulletins blancs et qui ont pratiquement franchi la dichotomie réformiste-intégriste. Ce phénomène montre qu’une grande partie de la société n’agit plus dans le cadre précédent et choisit de voyager dans d’autres directions. »

La jurisprudence analyse cette abstention autrement. Elle considère chaque participation tel un vote pour le système. Et le régime voit dans ce taux d’abstention de 62% une raison pour réformer la structure juridique des élections du pays, et estime que la structure actuelle est la cause derrière cette non-participation. Un changement véritable et radical ne peut avoir lieu sans mettre fin au régime des mollahs et ses legs représentés par l’autorité jurisprudentielle absolue ou la monarchie absolue.

Ce régime a opté, pendant des années, à une stratégie oppressive sans prêter de l’importance aux voix du peuple, à leurs revendications ou à leurs choix exprimés à travers les urnes. Une stratégie qui s’articule sur la vraie démocratie coûtera cher au régime, c’est pour cela qu’il n’a jamais tenté de s’y impliquer.

En pensant ce régime et sa politique répressive envers les rassemblements populaires, les manifestations et les grèves ; dont la répression brutale contre les manifestants innocents des soulèvements de 2017 et 2019 en est un exemple ; il est clair que le régime choisit la première stratégie. Constat réaffirmé après la nomination d’un président impliqué dans le massacre des prisonniers politiques en 1988, décision qui confirme l’orientation répressive du régime contre les iraniens. Mais l’histoire nous apprend qu’aucune dictature n’a survécu à la démocratie.