En première ligne dans la défense de la démocratie en Afrique dans les années 2000, l’Union européenne ferme désormais les yeux sur les tricheries électorales et les modifications constitutionnelles sur le continent. Notamment par peur de l’influence grandissante de la Turquie de Poutine et de la Turquie d’Erdogan qui marquent des points par leur absence sur le terrain des libertés publiques.
Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne en a fait l’annonce lui-même : il n’y aura d’observateurs européens aux élections législatives prévues le 5 juin prochain en Ethiopie. Officiellement l’Union européenne n’a pas obtenu toutes les garanties de liberté de travail et d’action de ses observateurs. Et pourtant, l’Europe a décidé de maintenir le soutien financier de 20 millions d’euros apporté au processus électoral éthiopien dont elle n’est même pas sûre qu’il sera transparent.
L’exemple des législatives en Ethiopie est symptomatique de l’évolution de la doctrine européenne en matière de défense de la démocratie et du pluralisme politique en Afrique subsaharienne.
Silence radio
Contre toute attente, on n’a pas entendu les rodomontades de la Commission de l’Union européenne contre la présidentielle congolaise remportée en mars dernier avec plus de 88% par Denis Sassou, ni contre la présidentielle djiboutienne qui a consacrée en avril 2012 la réélection d’Ismaël Omar Guelleh à plus de 98%. On a guetté en vain les critiques de l’Europe contre la présidentielle-mascarade remportée en avril au Bénin par Patrice Talon avec plus de 86% des voix et celle qui a vu au Tchad la victoire du président sortant feu Idriss Déby Itno avec plus de 79%. Même la mise en place à N’Djamena du Conseil militaire de transition (CMT), après la mort le 20 avril dernier d’Idriss Déby Itno, n’a pas paru être une grave entorse à la démocratie pour l’Union européenne. Borell présent dans la capitale tchadienne aux obsèques de Déby n’a pas trouvé à redire et a préféré en « prendre acte ».
Changement de paradigme
Cette posture face au coup d’Etat au Tchad tout comme le profil bas lors des présidentielles au Congo, à Djibouti, au Bénin, au Niger, traduit un changement de paradigme européen. Il n’y a pas si longtemps, l’Union européenne défendait la démocratie en Afrique allant jusqu’à conditionner la poursuite de son aide aux pays à la transparence des élections ou à la mise en place des réformes garantissant le pluralisme politique. Entre 1995 et 2005, l’aide européenne au Togo a été suspendue pendant près de dix ans pour exiger des ouvertures politiques que le pays a fini par consentir pour obtenir la reprise de cette coopération. L’Europe hésite aujourd’hui a joué cette carte de la fermeté, de peur que les régimes autoritaires se retournent vers la Russie, la Chine ou la Turquie. Certains dictateurs africains, qui sont conscients de cette peur bleue européenne, exploitent à fond ce « filon » sur le mode : « si vous nous embêtez avec vos exigences en matière de démocratie et des droits de l’homme, on va se retourner vers Moscou, Pékin ou Ankara ». Et ça marche.
A céder trop facilement au chantage des autocrates de certains pays africains, l’Europe risque pourtant de s’aliéner le soutien des sociétés civiles africaines qui ne comprennent pas pourquoi la commission européenne va défendre les valeurs de démocratie et de liberté en Grèce, en Hongrie, en Pologne mais pas au Bénin, au Congo, à Djibouti ou au Tchad.