Après la fin de la trêve entre Tsahal et le Hamas et l’échange d’otages qui a eu lieu, le bilan des martyrs palestinien ne cesse de s’alourdir et s’élève désormais à plus de 15.000 civils dont 70% sont des femmes et des enfants, en plus de 7000 disparu.e.s.
En Tunisie, organisations nationales, partis politiques et associations se mobilisent dans le but de mettre la pression sur le gouvernement tunisien ainsi que sur la communauté internationale.
Mondafrique s’entretient avec Khalil Ezzaouia, ancien ministre des Affaires sociales (2011-2014) qui est aujourd’hui à la tête du parti social démocrate « Ettakatol » et un membre influent du comité de soutien à la résistance palestinienne.
Des propos recueillis par Molka Ben Yahya
Mondafrique. Après l’appel lancé par l’UGTT, le comité de soutien à la résistance palestinienne est créé le 10 octobre dernier.En tant que membre de ce comité, pourriez-vous nous faire part de votre analyse de la situation actuelle en Palestine et de ses répercussions sur le plan national?
Nous assistons en Palestine à un nouvel épisode d’une guerre de libération nationale. Les forces de la résistance palestinienne, le mouvement Hamas en tête, attaquent la force occupante par une opération militaire d’envergure jamais osée provoquant un vent de panique chez l’entité sioniste avec des centaines de morts et plus de deux cents prisonniers. La réaction israélienne est d’une violence inouïe et inacceptable nous assistons à un génocide du peuple palestinien à Gaza. Gaza a reçu en un mois et demi autant de bombes que l’Ukraine en deux ans. Nous sommes actuellement à plus de quinze mille morts, cinq mille disparus et vingt mille blessés. Les destructions de Gaza ville ressemble à celles de Dresde en 1945.cependant malgré le déséquilibre des forces militaires, la résistance palestinienne tient le coup et ses capacités de riposte restent solides. L’entité sioniste n’arrivera pas à atteindre ses objectifs de guerre à savoir la destruction de l’appareil militaire de la résistance. Les répercussions sur le plan international sont immenses. La cause palestinienne est revenue au premier plan mondial. L’accord d’Abraham qui visait à enterrer la lutte du peuple palestinien et à normaliser les relations entre les pays arabes et Israël a été stoppé net. Le retournement spectaculaire de l’opinion publique mondiale et notamment celle des pays occidentaux en faveur de la cause palestinienne a obligé les gouvernements occidentaux et notamment américain, soutien inconditionnel d’Israël, à changer d’attitude et à œuvrer pour un cessez le feu.
Mondafrique. Malgré les divergences qui puisent exister au sein de la sphère politique et au sein même de la population tunisienne, la cause palestinienne est la seule qui unifie. Comment expliqueriez-vous cela ? Et comment expliqueriez-vous également l’absence de certaines composantes politiques au sein de votre comité ?
La cause palestinienne a toujours unifié le peuple tunisien de tout bord et de toutes les opinions politiques. Il y a un consensus national autour de la lutte du peuple palestinien qui a été renforcé depuis que la Tunisie a accueilli la direction de l’OLP et ses combattants en 1982.
Le bombardement du camp palestinien de hammam chott en1985 et le meurtre de Abou Jihad par un commando sioniste ont cimenté cet engagement du peuple tunisien envers la Palestine.
Les membres du comité de soutien à la résistance palestinienne ont choisi de ne pas associer le parti destourien de Abir Moussi et le mouvement islamiste Ennahdha vu les importants différents de ces deux partis avec la majorité des composantes du comité.
Mondafrique. La mobilisation dans les rues tunisiennes ainsi que dans les rues arabes est beaucoup moins importante qu’en Europe, dont l’écrasante majorité des gouvernements soutient inconditionnellement le criminel de guerre Netanyahou.
On pourrait citer comme exemple la Grande Bretagne où le pays a vu défiler un nombre historique de manifestant.e.s en soutien aux palestiniens. D’où le slogan « From the river to the sea ».
Qu’en pensez-vous ?
Effectivement les manifestations dans les pays occidentaux et notamment à Londres et aux USA ont vu défiler une masse historique similaire à la guerre du Vietnam. Ce retournement serait dû à l’arrogance du gouvernement d’extrême droite de Netanyahou et à l’ampleur et l’horreur provoqué par les bombardements de Gaza. Il faut aussi souligner l’importance de la campagne BDS qui a réussi à sensibiliser l’opinion publique quant aux droits légitimes des Palestiniens. Actuellement il est évident que l’opinion publique internationale et notamment la jeunesse des pays occidentaux soutient la cause palestinienne et cela comptera dans le futur. Ce basculement constitue un tournant décisif dans le conflit au Moyen-Orient. Le compte à rebours de l’occupation a commencé et la fin de cette entité dans sa forme colonialiste est à envisager à moyen terme.
Mondafrique. Vous réclamez la révocation de toutes les représentations diplomatiques soutenant la politique israélienne, tels que les ambassadeurs de France, des Etats Unis, de la Grande Bretagne…
Pourquoi le gouvernement tunisien, avec à sa tête le président Kais Said, qui déclare haut et fort son soutien au peuple palestinien, n’agit-il pas en conséquence ?
Le comité a demandé aux gouvernants arabes d’avoir une réponse diplomatique ferme aux états occidentaux soutenants Israël et bloquants les résolutions des Nations Unies. Un rappel des ambassadeurs aurait été le minimum requis. Le comité a déposé une motion de protestation auprès de l’ambassade de l’Union Européenne à Tunis fustigeant la position l’UE et des états soutenants l’agression contre Gaza. Le pouvoir en Tunisie se contente pour le moment d’un discours enflammé sans mesures concrètes de soutien au peuple palestinien. Il s’est même abstenu lors du vote sur le cessez le feu à l’Assemblée générale des Nations Unies.
Mondafrique. En Amérique Latine, la Colombie, La Bolivie, le Chili, le Honduras, le Brésil, l’Argentine, etc ont surpris l’opinion publique mondiale avec leurs déclarations hostile à Israël
A l’opposé, la position des dirigeants arabes est considérée comme frileuse par le peuple arabe…
Pourriez-vous nous donner votre sentiment ?
Les gouvernements latino-américains ont suivi leur opinion publique largement acquise à la cause palestinienne. Une vague de gauche souffle sur cette région. C’est un vent de liberté et de solidarité avec les peuples opprimés. La position des dirigeants arabes n’est pas étonnante. Pour la plupart d’entre eux la cause palestinienne ne leur signifie rien. La tendance est vers la normalisation avec Israël d’une manière effrontée. La ligue arabe a cessé d’être rassembleuse et a cessé d’être arabe. Merci à la résistance palestinienne d’avoir bloqué le processus d’Abraham dont le but est la normalisation avec Israël et la fin de la cause palestinienne.
Mondafrique. Que pensez vous de la loi tunisienne criminalisant toute normalisation avec l’État israélien ?
Le projet de loi criminalisant toute normalisation avec l’entité sioniste est bloqué à la Chambre des députés à la demande de Kais Saied d’après le président du Parlement. Il faut dire que le texte proposé est imprégné d’un populisme qui le rend inapplicable ou s’il est adopté enverrait l’Etat tunisien et des milliers de citoyens en prison sans qu’ils n’aient eu de relations volontaires avec Israël. Le président Kais Saeid a renoncé à un élément fondamental de son discours électoraliste et de sa rhétorique d’après le 25 juillet 2021. Cela a touché à sa crédibilité et surtout cela a démontré que ce parlement mal élu n’avait aucune indépendance et aucune crédibilité auprès de l’opinion publique.
Mondafrique. Vous exercez le métier de médecin, un métier noble. Des hôpitaux palestiniens sont bombardés quotidiennement.
Le personnel sanitaire a payé un lourd tribut dans cette guerre. Les structures de soins n’ont pas été épargné par la destruction ou le blocage israélien. Le gouvernement israélien a fait fi de toutes les conventions internationales et de tout sens humanitaire. Les ONG de défense des droits de l’homme et les organismes des nations unies ont dénoncé et même qualifié de crimes de guerre les actes de l’armée israélienne. Elles ne peuvent pas faire plus. C’est le Conseil de sécurité des Nations Unies dominé par les soutiens d’Israël qui assume la paralysie de la communauté internationale. Cependant il faut reconnaitre que les rapports établis par ces organismes sont utiles pour éclairer l’opinion publique et ont contribué au retournement de celle-ci
Mondafrique. Un cessez-le feu résoudrait-t-il la situation ?
Toute trêve est bonne à prendre. Cependant il faut une pression internationale pour obtenir un cessez-le feu permanent. Pour le gouvernement israélien tant que ses objectifs de guerre à savoir la récupération des otages et la destruction du Hamas ne sont pas obtenus, il n’acceptera pas de cessez-le feu. C’est la pression internationale qui le fera changer d’attitude.
Il faut que les progressistes et l’opinion publique internationale jouent leur rôle en vue d’imposer un cessez-le feu durable. Il y va de la paix dans le monde.