Israël a gagné une bataille, pas la guerre

La bataille de Gaza va probablement se terminer bientôt, peut-être dans quelques semaines. Israël n’aura de loin pas atteint ses objectifs militaires déclarés (éliminer Hamas, libération des otages et transfert des Palestiniens). L’armée israélienne qui  aura « dominé » ce nouveau round au prix de massacres indécents est loin d’avoir gagné la guerre.

Un article de Malek Elkhoury

Voilà 75 ans qu’Israël se bat non pas contre ceux qui ont commis des pogroms contre eux, mais contre d’autres innocents vivant tranquillement sur leurs terres. 75 ans de tentative de prouver au monde que les « Palestiniens n’existent pas » (selon les termes de Golda Meïr en 1969 et répétés par M. Bezalel Smotrich, ministre des finances actuel, à Paris en mars 2023).

Israël ne prend pas une revanche sur ceux qui ont tenté d’éliminer les Juifs, mais se défoule plutôt sur d’autres populations, jusqu’à maintenant plus faibles, militairement, technologiquement, financièrement et économiquement. Ce qui pourrait impliquer que la raison d’être d’Israël n’est pas un état pour les Juifs, mais plutôt une exploitation du malheur de ces derniers, pour fonder un état à l’idéologie « sioniste » occupant de nouvelles terres dans une région riche. Un état qui aurait une fonction de colonisation et d’expansion, d’où le soutien des anciennes et récentes puissances à connotation coloniale et expansionniste.

Depuis bientôt 3 mois, le seul « résultat » obtenu est celui des pertes colossales du côté palestinien. Certains parlent même de génocide. Plus de 20’000 morts (dont plus de 9’000 enfants). Mais aussi des pertes importantes du côté israélien (plus de 5’000 blessés graves selon le Yediot Aharonot dont 3’000 définitivement handicapés sans parler des morts dont le nombre n’est pas clairement annoncé). La population israélienne met une pression de plus en plus grande sur le gouvernement pour exiger le retour des otages « vivants » (c’est-à-dire à travers des négociations) et même récemment des demandes d’arrêt immédiat des hostilités, sans parler d’une exigence d’informations correctes et exactes de ce qui se passe aux différents fronts (Gaza, Territoires Occupés – ou Cisjordanie –, frontière libanaise).

Les combats continuent de faire rage sur les 3 fronts. Israël a encore le feu vert américain et international pour continuer tant qu’une solution de l’après-guerre n’est pas encore trouvée et que les négociateurs continuent de palabrer autour d’une solution de gestion non seulement de Gaza mais aussi de la Palestine et de toute la région.

Cependant personne ne parle ou ne discute du futur du sionisme représenté par l’état d’Israël d’aujourd’hui, alors qu’à mon avis, à terme, ce dernier est, dans sa forme actuelle plus en danger que l’état palestinien. Pourquoi ?

Israël est de plus en plus isolé dans le monde. Les soutiens inconditionnels se font de plus en plus rares. Les coûts en vies humaines et en matériel sont énormes. Israël devra faire le bilan après cette guerre et le divulguer au grand public. Il ne pourra plus cacher les chiffres quand les soldats « rentreront à la maison », ou ne rentreront que handicapés, ou pas du tout. Le retour des déplacés (on parle d’environ 1 million de personnes déplacées des zones de guerre) se fera difficilement et sera coûteux.

L’économie devra absorber le coût de cette guerre. Une partie sera « offerte » par des supporters inconditionnels. Cela mettra plusieurs années à rembourser les emprunts effectués durant cette période. De même il faudra renflouer les réserves, certes importantes, mais largement entamées.

Une émigration importante a eu lieu (les chiffres varient entre 200 à 500 mille au moins), surtout parmi l’élite, sans parler de ceux qui souhaiteront partir après. Combien de ces émigrés, principalement ashkénazes et souvent bi- ou tri-nationaux, reviendront ? Ceux-ci occupaient des postes importants dans la société israélienne. La reprise de l’économie sera ardue, pénible, longue et dure.

Le mythe d’un état protecteur, dont l’armée (une des plus puissantes du monde) avait la réputation d’invincibilité, a disparu. Surtout devant un petit groupe de résistants formé d’au maximum 40 à 50’000 personnes, avec un armement « sommaire » de guérillas. Il est facile de tuer, quand on possède un matériel sophistiqué face à des « lanceurs de pierres ». Que serait-ce si Israël devait affronter un adversaire avec un armement digne d’une grande armée régulière ?

Dans une guerre, au moins la moitié de la force de frappe des combattants est leur volonté de se battre. Or, du côté israélien, cette volonté n’existe plus beaucoup (à part chez les extrémistes et les colons), alors que du côté palestinien, elle est innée et inhérente à toute la population. Il n’est pas facile de gagner une guerre contre des défenseurs des terres de leurs ancêtres.

Les bombardements incessants sur des populations innocentes depuis près de 3 mois vont aussi probablement provoquer une résurgence de l’antisémitisme dans le monde qui va se répercuter non seulement sur son « bannissement » mais aussi, malheureusement, sur les Juifs du monde entier.

« Not in our name » fut le slogan de Juifs du monde entier ne se sentant pas représentés par la politique israélienne. Ces derniers ont largement manifesté contre la politique de Netanyahou et de son gouvernement d’extrême-droite durant cette période (principalement aux USA), ce qui permet actuellement de dissiper la confusion entre sionisme et Juifs (confusion entretenue par Israël). N’est-ce pas une preuve que sionisme n’égale pas Juif ? Preuve supplémentaire, c’est qu’il existe un grand nombre de chrétiens sionistes (peut-être même plus que de Juifs).

Le souci de ce régime israélien est surtout de conquérir de nouvelles terres (que ce soit à Gaza ou en Cisjordanie), motivation essentielle des idéologies coloniales. Le sionisme est une de ces dernières politiques survivantes des XIXème et XXème siècle, peut-être la dernière.

Après la guerre, il y aura probablement des élections en Israël. Celles-ci ne seront pas faciles. L’enjeu (serré) sera entre l’extrême droite (actuellement au pouvoir, renforcée partiellement par l’augmentation de la colonisation de la Cisjordanie) et l’opposition (celle qui manifestait régulièrement depuis le début de 2023 contre la politique de Netanyahou). Peu importe qui l’emportera, la faction qui « perdra » les élections aura suffisamment de poids pour empêcher celle qui « gagnera » de gérer convenablement le pays. Et l’on entrera de nouveau dans un cycle de blocages comme ce fut le cas durant ces dernières années avec 5 élections consécutives en moins de 4 ans.

Sans compter que le processus de normalisation avec les pays arabes sera freiné. Et que la Cause Palestinienne est revenue sur le devant de la scène politique.

Le sionisme, représenté par l’état d’Israël, est donc le grand perdant de cette guerre. Israël n’a rien gagné dans cette guerre de Palestine, ni militairement, ni politiquement, ni sur aucun autre point si ce n’est d’avoir semé des graines de critiques (voire de haine) dans le monde entier. Que donneront ces graines ? Probablement une nouvelle guerre contre le sionisme (et non pas contre les Juifs) d’ici quelques années, qui, elle, sera probablement beaucoup plus meurtrière.

Ces guerres menées par Israël contre les Palestiniens depuis 1948 ne sont pas une revanche contre ses bourreaux, mais des guerres purement coloniales. Toutes les entreprises coloniales ont échoué et ont disparu. Le sionisme disparaitra aussi de la même manière.

D’ici là, les négociations s’enchaîneront les unes après les autres. Peut-être, comme d’habitude, pour n’aboutir à rien du tout. Espérons le contraire, car rien ne remplace le dialogue pour résoudre les conflits.

Beyrouth/Genève le 25.12.2023 (A suivre)