Pour évoquer les élections législatives qui auront lieu le dimanche 29 janvier en Tunisie dans une indifférence générale, Mondafrique s’entretien avec Hamma HAMMAMI, secrétaire.Général du Parti des Travailleurs et leader de la gauche tunisienne, une des dernières personnalités politiques à ne pas être inquiété par le pouvoir tnisien actuel/.
Des propos recueillis par Imen Houssein
Le premier tour des législatives a eu lieu le 17 décembre 2022. Le taux de participation n’a pas dépassé, selon l’Instance Supérieure Indépendante des Élections, dont les membres ont été désignés par K. Saied lui-même, les 11 pour cent. Ce qui représente un échec évident pour un président qui ne cesse de clamer qu’il représente la « volonté populaire » et ce qui constitue une terrible déception après l’espoir né, voici douze ans, « du printemps arabe » qui succédait à la dictature de feu le général Ben Ali.
L’appel au boycott décidé par les différentes forces d’opposition, conjugué à une indifférence générale d’une population accablée par ses problèmes économiques et sociaux, ont conduit à cet échec qui met en doute tout le projet du nouvel autocrate. Considérant que l’infime minorité qui a participé au vote représente « le vrai peuple », Saied continue son aventure populiste pour mettre en place des institutions fantoches sous ses ordres. Ainsi le deuxième tour de la mascarade se tiendra pratiquement dans les mêmes conditions que le premier tour : une indifférence générale de la population, un isolement accru de Saied aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’échelle internationale, une situation économique et financière catastrophique et un malaise social grandissant qui risque, selon plusieurs analystes, de se transformer à tout moment en une explosion générale.
Mondafrique. Le dimanche 29 janvier, se tiendra le deuxième tour des législatives décidées par le président Saied Est ce une avancée du processus démocratique en Tunisie?
Hamma Hammami. Naturellement non. Notre parti boycottera ce deuxième tour de cette mascarade électorale organisée par Kais Saied. Nous estimons que la grande majorité des Tunisiennes et des Tunisiens n’iront pas aux urnes cette fois encore. Le boycott pourrait être plus important que la dernière fois….
Comment expliquez-vous cette désaffection populaire pour les échéances électorales ?
Réponse : Kais Saied n’a rien résolu des problèmes qui tourmentent la majorité des Tunisiennes et Tunisiens, en premier lieu le chômage, la pauvreté et la cherté de la vie à laquelle, avec la « baraka » de Saied, s’ajoute une grande pénurie de produits essentiels (sucre, farine, huile végétale, lait etc…). L’autocrate populiste a aggravé la crise que vivait notre pays déjà sous le régime d’Ennahdha et ses alliés… A cela s’ajoute la répression de la liberté d’expression qui prend de plus en plus d’ampleur. Le vrai visage despotique et répressif de l’autocrate ne cesse de se démasquer, ce qui lui fait perdre le soutien de la majorité de ceux qui l’ont applaudi après le coup de force du 25 juillet 2021… Ceci dit l’étau se resserre autour de Kais Saied
3/Pourtant il continue à exécuter son programme… Ni l’aggravation de la situation économique et financière du pays, ni le mécontentement social grandissant, ni le taux de participation très faible au premier tour ne l’ont fait reculer…
Réponse : C’est la mentalité du despote… Kaies Saied se croit investi d’une mission providentielle. C’est lui qui fait tout et tout seul : la constitution, la loi électorale… pour lui « les corps intermédiaires », la société civile, les partis, les syndicats, les intellectuels, et surtout les médias sont des « parasites ». La société n’en a pas besoin. Il est le seul à décider. C’est lui qui sait ce que veut le peuple, plutôt « son peuple ». Avec cet esprit d’autocrate, il ne peut qu’ignorer les vrais problèmes qui accablent le peuple tunisien jusqu’au jour où celui-ci le fera descendre de son trône …
La Tunisie aura-t-elle vraiment un « nouveau parlement » même avec un taux de participation très faible ?
Ce sera un parlement fantoche, un parlement non représentatif, sans prérogatives réelles. Son seul rôle est de donner une fausse légitimité à l’autocrate qui a déjà concentré tous les pouvoirs entre ses mains…
Que pensez-vous des différents appels à un dialogue national pour faire face à la crise politique, économique et sociale, « à la catastrophe imminente » selon certains milieux politiques et syndicaux ?
En ce moment de crise, les « initiatives » abondent de toute part. Les « sauveurs » sont nombreux. Cependant Kais Saied qui taxe tout opposant ou critique de « comploteur » ou de « traître à la nation », ne cesse de faire la sourde oreille et d’ignorer toutes ces initiatives, même si elles viennent de l’UGTT. A notre avis, compter sur un éventuel dialogue avec Kais Saied n’est qu’une perte de temps. Le seul langage avec l’autocrate reste la lutte jusqu’à sa chute et la chute du système populiste, conservateur, dictatorial qu’il essaye d’instaurer.
« Il est vrai que le mouvement populaire connait une phase de reflux ». Hamma Hammami
Le mouvement populaire n’est-il pas dans une phase de reflux ?
C’est vrai… Mais cette situation ne peut pas durer longtemps. La situation économique et sociale est catastrophique. Financièrement, le pays est au bord de la faillite. Ni les pays du Golf qui ont soutenu le coup de force de Saied, ni le FMI ne veulent lui octroyer de nouveaux crédits pour financer le budget de l’année courante. Ils veulent le vassaliser à fond et en faire un petit pion qui répond à toutes leurs exigences économico-financières (privatisations, levée des subventions des produits de première nécessité, gel des salaires, gel des recrutements dans le secteur public….) et politiques (la normalisation des relations avec « Israël »). Cette situation économique conjuguée avec une répression qui s’élargit de plus en plus, touchant ainsi tous les milieux, ne peut que pousser les gens à se mobiliser et à lutter de nouveau. Notre rôle est de doter la lutte populaire d’un programme et d’une direction politique pour dépasser les carences de la révolution de 2010-2011. La forme du pouvoir a changé mais l’essentiel, c’est-à-dire l’accaparement des richesses du pays par une poignée de familles liées au capital étranger, n’a pas été touché.
Kais Saied jouit)il encore du soutien populaire qu’il avait lors de son accession au pouvoir? Quelels sont les forces sociales qui le maintiennent toujours au pouvoir ?
Saied a réussi son coup de force grâce au soutien de l’appareil de l’Etat : l’armée, les forces de sécurité et ce qu’on appelle « l’Etat profond », c’est-à-dire le corpus administratif, conservateur et réactionnaire. Ces différents corps de l’appareil ne veulent pas un régime démocratique. Ils veulent regagner leur autorité d’avant la révolution. Saied, le populiste, répond à cette exigence qui sert aussi les intérêts des riches du pays et du capital étranger qui cherche tous le « retour à l’ordre ». Il ne faut pas oublier le soutien de Macron et de certains lobbys européens et américains…
Les voisins de la Tunisie ne cherchent eux aussi que leurs propres intérêts dans une région pleine de turbulences et de conflits. Dans tout cela Saied, qui est dans l’impasse, ne sait sur quel pied danser. La seule chose qui compte pour lui c’est de garder le pouvoir. Mais cela ne peut pas durer longtemps… Le peuple tunisien qui a été trahi par les différents gouvernements qui se sont succédé après la révolution saura reprendre son destin entre ses mains
Hamma Hammami: nous ne soutenons ni Kaïs Saïed, ni les islamistes