Gilles Kepel, un islamophobe qui s’ignore

Le spécialiste de l’Islam, Sadek Sellam, voit dans les prêches de l’universitaire Gilles Kepel une tentative de se faire une place au soleil islamique.

« Bien peu de nos écrivains connaissent le Coran et nous nous en faisons toujours une idée ridicule, malgré les études de nos savants les plus authentiques. Nous attribuons au Coran une quantité de bêtises qui ne s’y trouvent pas » (Voltaire).

C’est à ce jugement avisé que renvoient les controverses médiatiques actuelles sur l’Islam. Il s’applique aux commentateurs qui, pour se faire inviter à la télévision, proposent de dissoudre le Coran lui-même.Hélas, après les attentats du 13 novembre, la raréfaction des interventions télévisées des Malek Chebel, Abdenour Bidar ou Ghaleb Bencheikh, partisans du « changement de théologie », n’a pas permis de lancer des débats de fond. Après le 13 novembre, il a été plutôt question de changer de politique étrangère et militaire. Ce qui fait que les débats récents continuent, mais en l’absence des musulmans instruits, et avec comme épicentre, un combat de coqs entre deux universitaires Olivier Roy et Gilles Kepel. Mais le premier, humble devant la complexité des faits, voit dans le djihadisme « une islamisation de la radicalité ». Le second, tout absorbé qu’il est par ses prétentions hégémoniques, décrit le terrorisme comme « une radicalisation de l’Islam », dont il serait le seul à détenir le secret.

Petits calculs

Ce qui dessert Kepel en revanche, c’est que ses études se limitent, depuis trente ans, aux seuls courants radicaux optant pour la violence au nom du religieux. Qu’il relise donc cet appel au sens de la nuance lancé au milieu du XIXeme siècle la capitaine Pellissier de Raynaud, l’auteur des “Annales algériennes”, qui reste un livre de référence pour les historiens de la conquête de l’Algérie:«  …Pour juger un peuple, il ne faut pas le considérer exclusivement dans les temps où ses passions sont excitées par des circonstances exceptionnelles  : la haine de l’étranger, les préventions religieuses, les querelles politiques conduisent quelquefois ceux mêmes dont les mœurs sont habituellement les plus douces à des excès fâcheux. La France de la Saint Barthélémi et de 1793 n’est pas la France de tous les jours, pas plus que les Arabes égorgeant les blessés de la Macta ne sont ceux que la froide raison doit nous montrer. C’est cette raison qu’il faut souvent consulter dans nos relations de guerre ou de paix avec les habitants de l’Afrique  ».

Dans une tribune publiée par Libération le 15 mars, Gilles Kepel en appelle à  un programme de recherche pluridisciplinaire, qui ressemble comme deux goutes d’eau à celui du CNRS, dont il critique le directeur. A bien le lire, tout rentrerait dans l’ordre quand on fera appel à lui pour la direction de ces recherches. Quelques semaines auparavant, sur LCP, Gilles Kepel déclarait que tous les arabisants français, sans exception, étaient disqualifiés par leur soutien à la cause palestinienne. Peu de temps après, il dénie le droit à O. Roy de parler du djihadisme, au motif qu’il n’est pas arabisant. En écartant les non-arabisants de ses plates bandes, et en disqualifiant tous les autres arabisants qui manqueraient d’impartialité pour cause de soutien à la Palestine, Kepel prétend terrasser Daech tout seul.

Rendez nous Mohamed Arkoun

Pourtant, la prévention des radicalisations se jouera d’abord sur une bonne formation des imams et des aumôniers musulmans. Ce qui suppose une rénovation de l’enseignement de l’islam et l’appel à des musulmans qualifiés, de la classe de Mohammed Arkoun (élève de Blachère et de Brunschviq), d’Ali Mérad (élève de Laoust) et de Madjid Turki (élève de Brunschviq ). Ces trois islamologues avaient accepté de quitter leur “érudition absentéiste” pour s’impliquer dans les tentatives d’institutionnalisation de l’Islam en France. Mérad et Turki avait siégé à partir de 1977 dans la “Commission nationale des Français Musulmans” que présidait le secrétaire d’Etat aux rapatriés Jacques Dominati. Parmi les préconisations de cette Commission, figurait le projet de réanimation de “l’Institut Musulman” de la Mosquée de Paris. Le président de la république, Valéry Giscard d’Estaing en avait accepté le principe, et seul l’alternance de mai 1981 est venue le compromettre.

Allergie à l’Islam

Durant la décennie 1980-1990, le démantèlement des études islamiques s’est manifesté à l’université  notamment par la suppression de la chaire de droit musulman de Paris I. Il s’est poursuivi à Paris 1V par le remplacement du cours de Roger Arnaldez, spécialiste de philosophie musulmane, par un enseignement sur la philosophie…allemande.

Ces années là, on sentait déjà, au plus haut niveau politique, que l’Islam en France ne peut pas se passer d’un socle universitaire de réflexions et d’échanges. Mais les chapelles gouvernementales se montrent incapables de choix consensuels.

En souvenir de la participation d’Ali Mérad aux travaux de la “Commission Dominati”, l’Elysée fit appel à lui en 1989 pour fonder un “Institut Musulman de Théologie”, en mettant en garde- déja!- contre les financements extérieurs. Le ministre de l’Intérieur d’alors fit capoter le projet, pour cause de désaccord entre l’Elysée et la place Beauvau sur la nomination du nouveau recteur de la Mosquée de Paris.

Plus tard, la proposition faite par Arkoun d’ouvrir un “Centre national d’Etudes de l’Islam” à l’Ecole pratique des Hautes Etudes de la Sorbonne n’aboutit pas davantage, en raison de l’opposition du ministre de l’Education de l’époque.

En fait, en déplorant le déclin de l’islamologie, Kepel ne pense qu’à ses déboires de décembre 2010 à Sciences-Po où la direction mit fin brutalement au “programme Monde Arabe”. On sait maintenant que c’est moins les études arabes qui étaient visées que le responsable de ce programme, à cause de la gestion des grands colloques où certains se laissent aller à des dépenses somptuaires.

Querelles d’experts

Après le 7 janvier 2015, Benjamin Stora proposa une prévention des radicalisations en faisant découvrir aux jeunes musulmans les grandes figures de l’Islam en France, dont Malek Bennabi (1905-1073) et Muhammad Hamidullah (1908-2002). Mais Gilles Kepel, encore lui, s’est empressé de brouiller leur image dans son livre, “les banlieues de l’Islam”. en faisant de Bennabi “le maître à penser d’une génération d’activistes”(sic), et de Hamidullah (1908-2002) un membre de la « mouvance de pensée des Frères Musulmans »(re-sic). Alors que Bennabi avait recommandé un dialogue entre l’Islam et la doctrine gandhienne de la non-violence, et Hamidullah exhumait le texte révélant la nomination par le Prophète d’Oum Waraqa au poste d’imam et de juge !

L’anti-djihadisme suppose une coopération internationale avec des pays comme l’Algérie, qui compte une cinquantaine de bonnes universités avec des chercheurs de renommée internationale. Mais Gilles Kepel, qui veut refonder aujourd’hui l’enseignement de l’Islam en France, n’a jamais cherché à les rencontrer lors de ses séjours à Alger, en leur préférant la compagnie des généraux et ….du PDG de …la Sonatrach. Il donne raison à Berque qui reprochait aux Américains de considérer les « Arabes comme des accessoires humains des puits de pétrole ».

Les chemins de certains universitaires restent impénétrables.

 

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