Dans une libre opinion que nous publions volontiers par souci de pluralisme, le politologue Isidore Kwandja Ngembo s’en prend à la candidature de la ministre rwandaise des Affaires Etrangères, Louise Mushikiwabo, pour la présidence en octobre de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF)
Depuis l’annonce de la candidature de Louise Mushikiwabo à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et le soutien officiel du président Emmanuel Macron, plusieurs médias ont relevé de nombreuses faiblesses de cette candidature, tant en ce qui a trait à son leadership pour la promotion de la langue française que pour la promotion des valeurs démocratiques prônées par l’organisation.
Une autre faiblesse majeure que les médias n’ont pas mentionnée assez, qui pointe déjà à l’horizon et risque de mettre à mal l’action de la Francophonie, est celle de la mobilisation des ressources financières nécessaires à la planification et à l’exécution de programmes et activités de l’OIF, au moment où la France annonce des coupures drastiques dans le budget de TV5, un opérateur de l’OIF.
Comme on le sait, le financement de la Francophonie est assuré par les contributions statutaires des États, ainsi que par des contributions volontaires, transitant par le Fonds multilatéral unique (FMU) et dédiées aux programmes de coopération de l’OIF, de l’Agence universitaire, de l’Association des maires francophones, de l’Université Senghor d’Alexandrie et de TV5 Afrique.
Depuis près dix ans, Louise Mushikiwabo est ministre des Affaires étrangères du Rwanda et, en tant que telle, siège régulièrement au Conseil des ministres de la Francophonie (CMF), une instance chargée du suivi de l’action politique, diplomatique, économique, de coopération, ainsi que des questions administratives et financières de l’organisation. Et pourtant, son pays a toujours fait preuve d’une certaine nonchalance et de laxisme dans l’acquittement de sa contribution statutaire à l’OIF dans les temps requis, et ce, pendant des années.
Malgré le fait que l’OIF a dû lui accorder une réduction de 50 % et s’entendre sur un calendrier de paiement régulier des sommes dues, le compte du Rwanda est resté en souffrance les années 2015, 2016, 2017 et 2018, pour une modique contribution annuelle de 30 000 euros, pour un pays que l’on considère comme le modèle de réussite économique en Afrique.
Comment Mme Mushikiwabo pourra-t-elle convaincre les États membres d’en faire un peu plus et de s’acquitter à temps de leurs obligations financières envers l’Organisation, alors qu’elle-même n’a pas daigné répondre favorablement aux rappelles de l’OIF à honorer le paiement des arriérés de son pays ?
En fait, le Rwanda de Paul Kagame n’a jamais cru en l’efficacité de cette organisation, pas plus qu’il ne lui a jamais fait confiance. Il est curieux de voir aujourd’hui la même ministre qui, hier avait critiqué les méthodes de la France d’imposer sa volonté au sein de cette organisation, et aujourd’hui se targuer du même soutien de la France pour accéder à la tête de la Francophonie.
Les chefs d’État africains ne sont pas dupes. Hier c’était la BAD, aujourd’hui l’UA, maintenant on convoite la Francophonie, en 2020 ce serait le Commonwealth. La seule motivation qui justifie le désir du Rwanda de prendre la direction de toutes les organisations qui comptent, répond à une logique qui est la tienne : avoir la mainmise de ces organisations pour l’intérêt personnel et national.
La majorité silencieuse francophone croit profondément que Louise Mushikiwabo n’incarne pas les valeurs de la Francophonie et sa désignation serait une grande erreur de casting lourde de conséquences pour l’OIF. Comme disait Christophe Boisbouvier de RFI, ce serait de : « Faire entrer le loup dans la bergerie ». Cette désignation va sérieusement entamer le capital de crédibilité dont l’OIF bénéficiait encore auprès de l’opinion francophone et même internationale, mais surtout contribuerait à long terme à l’affaiblir complètement.
Désignation de Louise Mushikiwabo, un camouflet pour le Canada
Le Canada, le Québec et le Nouveau Brunswick ont réitéré vivement leur soutien à Michaëlle Jean. Et, le premier ministre du Canada continue d’encourager les chefs d’État et de gouvernement membres à user de leur pouvoir, en reconduisant Mme Jean pour un second mandat à l’OIF. L’échec de la tentative de la faire réélire sera considéré, pas comme un échec personnel de Michaëlle Jean, mais bien comme un sérieux camouflet pour le Canada et sa diplomatie, ce qui ne serait pas sans conséquence.
En effet, le Canada, en tant que l’un des membres fondateurs de l’Agence de coopération culturelle et technique en 1970, devenue par la suite l’OIF en 2005, est un acteur majeur au sein de cette organisation, tant par sa représentation que par sa contribution financière substantielle. Hormis les contributions volontaires dans les domaines spécifiques tels que l’égalité des sexes, l’insertion économique des jeunes et des femmes dans le marché du travail et la lutte contre le chômage, la contribution statutaire du Canada, avec ses trois provinces membres (Québec, Nouveau Brunswick et Ontario), aux institutions de l’OIF avoisine les 50 millions de dollars, soit plus de 30 % de l’ensemble du budget annuel de l’organisation.
Quand on sait que les gouvernements canadiens membres de l’OIF tiennent beaucoup au respect des valeurs chères aux Canadiens, qui sont prônées autant par la Francophonie, à savoir les libertés publiques, la démocratie, l’État de droit et le respect de la dignité humaine, il est moins sûr qu’ils puissent continuer à verser de l’argent des contribuables canadiens à une organisation qui va fermer les yeux sur les violations des droits de la personne et les comportements antidémocratiques de certains États membres.
Quoi qu’il en soit, si on veut bien d’une Francophonie aussi ambitieuse, dynamique et cohérente avec ses missions légendaires notamment de promouvoir la langue française, l’éducation et les nouvelles technologies en français, ainsi que les valeurs démocratiques, d’une voix forte, il est évident que ce n’est pas avec Louise Mushikiwabo qu’on va réaliser ces objectifs.
Ce qui est sûr, c’est que la Francophonie va, non seulement, perdre son âme et sa raison d’être, mais va aussi perdre de son lustre qui le caractérisait, en tant qu’organisation vouée à la promotion des droits humains, de la démocratie et des libertés fondamentales. À moins qu’on veuille lui conférer d’autres mandats qui n’ont rien à voir avec les mandats traditionnels de la Francophonie et qui n’ont pas pour but de promouvoir la langue française et les droits et libertés de la personne.