Pour notre chroniqueur Jacques Sarasin, le franc CFA, pilier de la politique africaine de la France, est un frein au développement des pays concernés
Depuis sa création en 1945, le franc CFA est une vache sacrée. Pas question de le mettre en cause, même si des cadres et universitaires africains de plus en plus nombreux demandent que leurs pays mettent fin à ce système monétaire qu’ils jugent daté et contre productif. Tout récemment, le togolais Kako Nubukpo, directeur de la francophonie économique et numérique, a été chassé comme un malpropre pour avoir publié le 30 novembre dans « le Monde Afrique » une tribune hostile au franc CFA
Lorsqu’un pays africain a voulu exprimer la possibilité de sortir son pays de la zone Franc, il fut toujours remis à sa place par la France. Sylvanus Olympio, premier président du Togo, est assassiné en janvier 1963 quelques jours après avoir envisagé de sortir de la zone Franc et de se rattacher au deutschmark. Laurent Gbagbo, président de la Côte d’Ivoire était soutenu par la France jusqu’au jour où il déclara vouloir accéder à une indépendance monétaire.
Une monnaie coloniale
Le 25 décembre 1945, fut créé le « franc des Colonies Françaises d’Afrique », le franc CFA, par De Gaulle, chef du gouvernement provisoire, René Pleven, ministre des finances et Jacques Soustelle, ministre des colonies. Cette décision s’inscrivait dans la continuité des accords de Bretton Woods en 1944 voulus par les Etats-Unis afin de donner un cadre à la nouvelle gouvernance économique du monde libre. Le FMI et la Banque Mondiale furent créées alors et le dollar institué en tant que monnaie de réserve mondiale.Dans les colonies françaises en Afrique, le mécanisme appliqué au franc CFA était directement inspiré du procédé imaginé par les allemands lors de l’occupation entre 1940 et 1944, quand ils inventèrent le deutsch des territoires occupés, associé au vrai deutschmark.
Aujourd’hui, 70 ans plus tard, 17 pays africains constituent la zone Franc et utilisent toujours le franc CFA, selon des mécanismes monétaires qui ont très peu évolué malgré les indépendances et l’apparition de l’Euro. S’il s’intitule « franc de la Communauté Financière d’Afrique », il reste rattaché à la Banque de France, n’est convertible qu’en Euro et ne s’échange qu’à l’intérieur de la zone Franc.
En échange de la garantie d’un taux de change fixe du franc CFA avec l’Euro, l’Etat français ponctionne 50% des échanges financiers en zone Franc. Cette manne est estimée à plus de 50 milliards d’Euro sommeille à la Banque de France malgré les critiques des partenaires européens, Allemagne en tête, réclamant une part du gâteau africain de la France.
Le franc CFA a longtemps permis à la France d’obtenir des matières premières d’Afrique à moindre coût, a bénéficié largement aux grandes sociétés françaises opérant en zone Franc et a donné la possibilité à la Banque de France de combler des déficits.
Une situation immuable
Quant à l’aide au développement que la France octroie aux pays de la zone Franc, elle est en fait constitué essentiellement des taux d’intérêts que la Banque de France doit payer, de toute façon, aux banques centrales africaines.
Rien n’est caché, tout est officiel et exposé aux regards de chacun. Tout semble normal pour les gouvernants français depuis 70 ans et pour les dirigeants africains de la zone Franc tout autant.
Il faut comprendre que ce frein au développement, à la productivité, à la compétitivité des pays de la zone Franc a des conséquences désastreuses sur les économies africaines, sur les conditions de vie et sur les migrations de populations autant que sur les extrêmismes religieux.
Le franc CFA aujourd’hui questionne les enjeux de gouvernance et de démocratie en Afrique francophone et il nous interroge sur le rapport de la France avec les pays du Sud.
Mondafrique reviendra, lundi, sur la situation créée par le franc CFA dans un entretien avec le togolais Kako Nubukpo, le directeur de la francophonie économique et numérique privé de ses fonctions pour s’être exprimé sur ce sujet
Sur le franc CFA, entendre le témoignage d’Amadou Seydou Traoré, ancien directeur de l’imprimerie nationale et grande figure politique du Mali